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ou que la poésie, en fonction de certaines conditions historiques. On prétend que le passé éclaire le présent. Il est encore plus vrai que le présent éclaire le passé. C’est le retour des émigrés au milieu des Cosaques et des Prussiens de la Sainte Alliance, qui illumine soudain l’histoire aux yeux d’Augustin Thierry et lui fait concevoir que toute aristocratie suppose une conquête, loi qu’il développe dans ses livres de la Conquête de l’Angleterre et des Récits mérovingiens. Les journées de 1830 furent pour Michelet une révélation semblable : au soleil de juillet, la France lui apparut.

Il ne faut jamais oublier, en lisant Villari, le jeune étudiant qu’il fut dans la Naples de Ferdinand II, l’élève de De Sanctis, l’ami inséparable de ce Luigi La Vista, mort à vingt-et-un ans martyr de sa foi politique sous les balles des Bourbons au combat de Isidore. Lui-même ne dut alors son salut qu’à la fuite. Ces temps sont aujourd’hui loin de nous. Nous saisissons mal cet esprit de 1848, le mysticisme des apôtres de cette révolution. Villari n’y joua aucun rôle, mais cette atmosphère singulière est celle où se formèrent ses idées. Toute sa vie morale est dominée par les figures qui enflammèrent sa jeunesse. Il resta ! e compagnon des martyrs de Mantoue. Leurs exemples constituent le trésor intérieur auquel ne cessa plus de s’alimenter son âme. Il fut le gardien de la flamme sacrée. Personne n’a mieux parlé de Cavour que Villari ; mais plus près encore de son cœur furent ces mystiques ingénus qui eurent, à un degré héroïque, la religion de la liberté. Il s’échappait de Pise pour venir conspirer. Le 7 septembre 1860, il vit entrer à Naples, aux cris de Garibaldi ! l’homme miraculeux, le chevalier errant de toutes les indépendances, le vainqueur de Palerme à la tête de ses chemises rouges. La courte biographie qu’il écrivit de Garibaldi (elle est reproduite tout entière dans le recueil dont nous parlons) est un de ses chefs-d’œuvre, et peut-être la plus belle image, dans sa simplicité, que l’on ait consacrée au prodigieux roman du généreux aventurier. Il assista dans sa longue vie à toutes les guerres successives qui furent les étapes de l’Italie à la conquête de l’indépendance. Et l’un des derniers actes de l’historien nonagénaire, ce fut, en mai 1915, au moment de la démission du cabinet Salandra, le télégramme anxieux où il adjurait le gouvernement de rejeter toute alliance avec le parti des