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rehaussé de couleurs éclatantes. Paysages immuables qu’admirèrent avant nous tous les rois de l’Egypte ! Au pied de ces montagnes défilèrent les galères dorées dont on retrouve le modèle presque intact dans les dahabiehs modernes à la guibre rostrale, à la poupe surélevée. Dans les eaux aimées des crocodiles, les prêtres d’Apis menaient boire les bœufs sacrés ; là se rencontrent les principaux souvenirs archéologiques, là s’échelonnent toutes les pyramides. De nos jours, les champs de canne à sucre ont modifié l’aspect de ces régions. Leurs plants verts et touffus s’étendent sur de vastes parcours et donnent à la contrée un caractère colonial d’autant plus frappant que le ciel y reste constamment pur, et que le soleil y darde d’implacables rayons.

Le coton, au contraire, constitue la culture presque exclusive du Delta. Les autres récoltes ont une destination particulière ; le trèfle sert à nourrir les animaux, le froment et le maïs sont employés à l’alimentation des cultivateurs. L’excédent de ces deux récoltes permet d’acquitter les impôts, de sorte que le coton peut être considéré comme le bénéfice net de l’exploitation. Le cours majestueux du fleuve dont J.-M. de Heredia a fixé l’aspect dans un sonnet immortel se divise dans le Delta en une infinité de bras, de canaux et de drains. A chaque pas, l’eau ruisselle, et les hods — c’est ainsi qu’on nomme les parcelles de terre entourées par les digues — se succèdent sans interruption. A perte de vue s’étend, selon les saisons, la nappe verte des champs de bersim ou le manteau blanc des cotonniers. Sur certains points, la fertilité du soi est telle que l’herbe repousse littéralement sous les pas des faucheurs qui viennent chaque jour couper la provende de leurs buffles.

Dans le Bas Delta, les terres sont noyées sous l’eau ; les hommes ont entrepris une lutte gigantesque pour arracher sans cesse des hods à la mer, afin d’ensemencer de nouvelles surfaces. Ces régions des « baharis » sauvages et solitaires sont l’avenir de l’Egypte, car elles sont presque indéfiniment extensibles. Elles exigent tout un outillage compliqué d’irrigation et de drainage dont nous aurons l’occasion de parler. En résumé, l’Egypte est en mesure de nourrir, grâce à sa production de céréales, ses 12 millions d’habitants. Ses prairies artificielles assurent la pâture d’un cheptel très nombreux ; elle est