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Jeanne s’était également confessée, fut mobilisé par le capitaine pour tenter une expérience. Ils firent irruption l’un et l’autre, le représentant de Dieu et le représentant du Dauphin, chez Mme Le Royer ; et M. Fournier, qui portait l’étole, dit à Jeanne : « Si vous êtes chose mauvaise, éloignez-vous ; si vous êtes bonne, approchez-vous. » Baudricourt, alors, vit Jeanne se traîner près de M. Fournier, jusqu’à ses genoux. Elle ne s’enfuyait pas, comme le diable l’eût fait, devant les signes sacrés faits avec l’étole. Les audacieux desseins de Dieu sur Jeanne et sur la France, tels qu’elle les avait confiés au gouverneur de Vaucouleurs, n’étaient donc pas des inspirations du Malin ; et l’intuition qu’elle avait, au moment même où il se produisait, d’un échec militaire subi par les troupes de Charles VII, n’était donc pas une révélation démoniaque. M. Fournier, curé, pouvait en donner à Baudricourt l’assurance ; et c’est à l’abri de ce premier verdict d’Eglise que Jeanne s’éloigna vers les rives de la Loire.


II. — LES PREMIERS JUGES DE JEANNE : LES EXAMINATEURS DE POITIERS

Là-bas, près de Charles VII, des examens plus solennels s’imposaient. La situation du royaume était désespérée. Réglementant au Puy les fêtes du jubilé, les consuls gémissaient : « Sauf correction de ceux qui mieux savent, temps ne fut jamais si plein de périls ni d’alarmes[1]. » Et voilà qu’une pucelle survenait, avec cette consigne, avec cette certitude de sauver la France : elle parlait à Charles VII de certains secrets, que lui seul et Dieu savaient. Dieu m’envoie, insistait-elle ; et Charles, troublé, se tournant vers les théologiens, leur demandait : Est-ce vrai ?

Une curieuse tapisserie du quinzième siècle, conservée au Musée Johannique d’Orléans, représente Jeanne chevauchant avec ses compagnons vers le château de Chinon : Charles VIIil, à pied, sort pour l’accueillir. Un des pages de Jeanne tient une banderole, sur laquelle se lisent en vieil allemand ces mots triomphants : « Ici vient la Vierge envoyée de Dieu au

  1. Sur la coïncidence entre ce jubilé de la Vierge angélique du Puy, où la mère de Jeanne se rendit, et le voyage de Chinon, voir Gabriel Hanotaux, Jeanne d’Arc, p. 48 et suiv. (Paris, 1911).