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Beauté, » vers son Royaume esthétique, Mgr Dupanloup lui avait montré le chemin des cimes.


À cette influence du paysage alpestre sur son esprit et son imagination, il faut, pour bien comprendre ses directives ultérieures, joindre l’influence du paysage provençal. Adolescent, il séjourna en Camargue, il y habita, il y chassa. Il eut longtemps sous les yeux ces immenses étendues dénudées, ces landes pierreuses, ces lagunes que les soleils couchants revêtent de colorations si somptueuses. Aigues-Mortes, Saint-Gilles, les Saintes-Maries-de-la-Mer lui révélèrent un moyen âge éclatant et joyeux, tout baigné de lumière orientale. Ainsi s’explique, dans son œuvre, le double aspect, à la fois méridional et septentrional. Même quand il nous fait voir l’Italie la plus ensoleillée et la plus dorée, c’est toujours avec ses yeux de montagnard dauphinois. Parmi les enchantements des villes romaines et campaniennes, il reste l’homme des lacs, des prairies, des forêts, et des montagnes, qui n’a pas grand efl’ort à faire pour rejoindre fraternellement les lakistes anglais. M. Robert de la Sizeranne ne situe pas précisément son rêve de beauté « dans le grand Nord féerique » enveloppé de brume. Exactement, il est l’esthéticien de l’Europe centrale.

De là, son culte pour l’Engadine et les nombreux voyages qu’il y fit. De là aussi son admiration pour Segantini, qui fut le peintre de l’Engadine. D’autres vont chercher au bord du Nil, ou dans les régions sahariennes, les suprêmes effets de la lumière, ses splendeurs et ses dégradations les plus déconcertantes et les plus imprévues. Ces extraordinaires magnificences lumineuses, il les a trouvées, lui, comme Segantini, dans les glaciers de l’Engadine. Les sables du désert, avec leurs mirages, les neiges des hautes montagnes, avec leurs colorations aurorales et crépusculaires, sont les plus étonnants miroirs qui existent sous le ciel. Et, dans ce pays abrupt et sauvage, placé si haut au-dessus des plaines, où se mêlent trois peuples différents, où résonnent trois idiomes, Robert de la Sizeranne reconnaissait les principaux traits de son paysage intérieur, — paysage de montagne aux bleus un peu froids et mélancoliques, comme dans les fonds de tableaux du Vinci, mais tout égayé par le sourire du grand soleil italien.