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pittoresque, de forme et de mouvement circulaire. Il apparaît dès le début. Voilà ce qui peut s’appeler justifier promptement un titre et poser de suite un sujet. Il est spirituel, ce thème imitatif. Il n’est pas moins souple. Il se prête à des variantes de ton, de rythme, de mode, qui le sont aussi de sentiment et d’humeur, suivant que la broche passe de la main d’un personnage en celle d’un autre. Encore une fois il tourne, et le reste de la musique tourne autour de lui. Jacquot, le petit rôtisseur ; Frère Ange, un moinillon gourmand et libertin ; Jeannette, la vielleuse, et Catherine, la bonne fille, ou, comme l’appelle, je crois, joliment M. Anatole France, la « guilledine, » tel est l’aimable quatuor dont s’entrecroisent les propos mélodieux. Une symphonie continue les accompagne ; continue, mais non pas monotone, ambitieuse encore moins ; vraie symphonie pourtant, où les thèmes alertes vont et viennent, et reviennent, et se transforment, ou se déguisent, juste assez peur qu’on ait plaisir à les deviner ; symphonie attentive, où le moindre mouvement scéniqne éveille un accent juste, une significative ritournelle, un accord ingénieux. Entre le chant et l’orchestre, l’équilibre n’est jamais compromis. Le dialogue enfin, leste, pimpant, se joue à fleur de lèvres. Cette musique se garde de l’excès et de l’insistance. Fine, discrète, chantant, — à mi-voix, — tantôt la bonne chère et tantôt la galanterie, nous dirions volontiers, avec don César de Bazan, qu’elle nous donne tour à tour

Et l’odeur du festin et l’ombre de l’amour.

Ailleurs elle donne davantage. Au troisième acte, avec non moins d’agrément qu’au premier, elle a plus de nerf et de vie. La veine est ici plus abondante et plus soutenu le souffle. Rien n’est à retrancher, non plus qu’à reprendre, de ce tableau musical, vingt fois traité par les peintres du temps : un petit souper au XVIIIe siècle. Personnages : d’abord, au lever du rideau, le frère Ange, tout seul, en contemplation, presque en oraison devant les victuailles, hélas ! pour d’autres que pour lui préparées. Par sa voix et par l’orchestre, sa convoitise et ses regrets s’expriment en un style mêlé, d’église et de table à la fois. L’ironie est discrète, et plaisante la combinaison de l’un et de l’autre caractère. Survient Catherine, la maîtresse de céans. Volontiers elle retiendrait le petit frère, ne fût-ce que par superstition et comme porte bonheur. Mais le « chevalier, » principal invité de la belle, ne l’entend pas de la sorte et met le moinillon dehors. Une vive, une spirituelle musique accompagne