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dans le même style abstrus, énigmatique, que Lamartine appelait assez heureusement des chants d’hiéroglyphes. Reconnaissons qu’il nous est souvent arrivé, — imprudemment peut-être, — de conclure à l’imitation sur de plus faibles témoignages.


Mais il y a mieux. Ce n’est pas seulement dans la légende de Mahomet et dans les légendes qui en dérivent que M. Asin a cherché et cru trouver des sources de la Divine Comédie : c’est dans les conceptions de la théologie musulmane que sa double érudition lui permettait de confronter avec la théologie chrétienne. Toutes les deux affirment quatre états de l’âme après la mort. Du côté, musulman, Algazel les a exposés et précisés. Le premier est la condamnation éternelle : c’est l’Enfer chrétien. Le second est le salut éternel : c’est le Ciel chrétien. Les deux états intermédiaires sont le Purgatoire et les Limbes. Mais le Purgatoire islamique diffère du chrétien en ce que tous les pécheurs peuvent y aller s’ils ont seulement conservé la foi, alors que dans le Purgatoire chrétien n’entrent que les coupables de péchés véniels ou ceux dont les péchés mortels ont été absous et non expiés. Enfin les Limbes s’ouvrent aux âmes qui n’ont ni servi ni offensé Dieu : les fous, les imbéciles, les enfants des Infidèles, les adultes morts avant que l’Islam les ait atteints. Ne nous étonnons pas de cette similitude dans le plan de la vie future chrétienne et musulmane, puisque l’Islam, selon le mot de saint Jean Damascène, qui vivait au VIIe siècle et qui le connaissait en perfection, n’est qu’une hérésie chrétienne où l’on nie la Trinité et la Divinité de Jésus.

Reprenons maintenant l’itinéraire de Dante. Lorsqu’il a traversé l’Achéron, le premier cercle qu’il visite est celui des Limbes. Il s’y mêle aux grands poètes et aux sages qui vécurent avant le Christ ou qui ne reçurent pas le baptême. Leurs ombres « aux yeux lents et graves » habitent, au milieu d’un éternel crépuscule ou même d’un hémisphère de ténèbres, « un lieu ouvert, lumineux, élevé, » et elles se promènent sur des prairies de fraîche verdure dans l’enceinte d’une noble citadelle sept fois encerclée de hautes murailles et qui a sept portes. Les Enfers virgiliens ont pu ici inspirer Dante ; mais aucune description chrétienne ne lui fournissait un modèle de ces Limbes. Le dogme catholique est sur ce point de la plus