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sans difficulté au cimetière attenant à l’église Sainte-Marguerite, distante du Temple de près d’une demi-lieue. Le parcours s’était effectué très rapidement, car il était neuf heures et demie à peine quand le convoi, débouchant de la rue Basfroy, atteignit la rue Saint-Bernard. Il passa devant la porte fermée du cimetière et entra dans l’église, transformée en école pour « les élèves du salpêtre. » Une porte, dans le bas-côté de gauche, ouvrait sur le cimetière où l’on pénétra à la nuit presque close, une belle nuit pure de fin de printemps.

C’était un petit enclos verdoyant de cette herbe drue qui pousse sur les morts et de vieux arbres alignés le long des murs. Une masure à toit de tuiles, à fenêtres protégées de barreaux de fer, se terrait dans un angle et servait d’habitation au fossoyeur Bétrancourt et à sa femme. La fosse commune, — la « tranchée, » comme l’appelaient les professionnels, — s’étendait de l’Est à l’Ouest au milieu du terrain, passant au pied d’une haute et vieille colonne de pierre naguère surmontée d’une croix qui devait être abattue et jetée quelque part dans l’épais gazon. L’inhumation du prisonnier fut sans cérémonial : la femme du fossoyeur, vingt ans plus tard, racontait : « On l’enterra à la brune : il ne faisait pas encore tout à fait nuit ; il y avait très peu de monde ; je pus facilement m’approcher ; je vis le cercueil comme je vous vois. On le mit dans la fosse commune qui était la fosse de tout le monde, les petits comme les grands, les pauvres comme les riches, tous y allaient, parce que, soi-disant, tout le monde était égaux… » Le commissaire de police Dusser plaça un factionnaire près de la fosse, un autre à l’entrée du cimetière ; les huit assistants signèrent. À dix heures du soir, tout était terminé. Lasne et Gomin reprirent le chemin de la prison. Quelles confidences, quelles réflexions échangèrent-ils le long de la route ? Quels que fussent leurs doutes, dont leur conduite fournissait tant d’indices, ils possédaient du moins une certitude : c’est que le petit Roi, — que peut-être ils n’avaient jamais eu à garder, — était maintenant bien décidément hors du Temple.


G. LENOTRB.