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de la Tour. À huit heures du soir se présente le docteur Dumangin, qui ne sait rien encore : Lasne et Goniin le reçoivent, lui apprennent, en grand mystère, le décès, lui transmettent l’arrêté du Comité concernant l’autopsie et l’invitent à s’entendre au plus tôt avec Pelletan : sur quoi, ils le congédient après lui avoir recommandé un silence absolu.

Lasne, Gomin et Damont respirent enfin : ils sont seuls dans la Tour à savoir que le prisonnier n’est plus. Le porte-clefs qui partage leur secret, Gourlet, est enfermé, ne communiquant avec personne : et il faut que, pour dissimuler, les gardiens et le commissaire soupent comme à l’ordinaire avec les officiers de garde qui, eux, ne se doutent de rien, preuve évidente que la comédie est bien conduite. Là-haut, le petit mort, verrouillé dans sa chambre sombre, repose, abandonné, sans que la flamme d’un cierge vacille auprès de lui, sans qu’une fleur caresse sa joue livide, sans qu’aucun de ceux qui l’ont servi ose lui donner une larme. On éprouve une sorte de gêne à présenter ce froid tableau, si différent de ceux que la légende a composés : plus rien de ce concert des anges, ni de la voix de la Reine appelant du ciel son enfant, ni des oiseaux de la Tour prenant leur vol pour ne plus revenir ; plus rien de Gomin qui suffoque, ni de Lasne gardant pour la vie l’obsession de ce dernier souffle qui a effleuré son front, ni de ce défilé pieux des employés du Temple venant contempler une dernière fois les traits du petit captif dont l’âme est enfin délivrée…

Si les membres du Comité, si les gardiens du Temple savent ou soupçonnent que celui qui vient de mourir n’est pas l’Enfant de France, cette indifférence et cette dissimulation sont justifiées : dans le cas contraire, comment aucun de ces hommes ne songe-t-il à la jeune fille que frappe un nouveau deuil, après tant d’autres ? Ni Lasne, ni Gomin, si « bons pour elle, » n’auront la pensée, quand tout sera silencieux dans le Temple endormi, de l’amener auprès du lit de son frère, afin, du moins, que le cadavre du petit Roi ne parte pas sans une prière pour la fosse commune qui l’attend ? Comment ne pas s’indigner que, dans toute cette correspondance incessante, échangée entre le Comité et le Temple, nul ne s’inquiète de l’orpheline ni n’autorise ou ne sollicite une infraction à l’impitoyable consigne qui, depuis vingt mois, a séparé ces deux