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« barbouilleurs » d’André Chénier) ; cuistres à qui la France appartient… gens sincèrement convaincus que la France est née le jour que trois voix de majorité, captées, achetées ou volées, les ont faits rois d’arrondissement. » Voilà comme les traitait alors notre satirique. Dira-t-il encore qu’il ne les détestait pas ? Mais les temps sont changés ; même les gens, du moins certains d’entre eux. Il nous plaît de le croire. Il sied alors d’être généreux, et de ne point aller rechercher sur Leurs Figures des marques maintenant effacées.


C’est qu’alors il s’agissait de la France. Aussi bien, pour M. André Hallays, en tout et toujours, il ne s’est agi que d’elle. Quand elle fut attaquée, du dehors cette fois, comme il l’avait servie par pensées, par paroles, il résolut de la servir par action. Il n’en avait plus l’âge. Mais, aux âmes que vous savez, si « la valeur n’attend pas le nombre des années, » elle n’en est pas non plus atteinte. On ignore trop ce que le Hallays nouveau, le Hallays de la guerre, a valu. Engagé de la première heure, à cinquante-cinq ans, il reprit son modeste galon, — depuis longtemps pâli, — de sous-lieutenant. On l’envoya d’abord au loin, plus loin qu’il ne souhaitait, en Limousin, pour y former un régiment de territoriaux. Là, pendant sept ou huit mois, il instruisit ces braves gens. Il fit mieux encore, et, dans le vrai sens du mot, il les « éleva. » Le 30 décembre 1914, il écrivait, d’Aix sur Vienne : « Je suis au fond du Limousin dans un dépôt de territoriaux où je mène une existence sans péril et sans gloire, mais qui m’absorbe du matin au soir et me donne la consolation de me croire un tout petit rouage de l’immense machine. Depuis bientôt quatre mois, je nourris, j’habille et j’instruis des territoriaux du Nord. Je m’acquitte de ma besogne le mieux que je puis. Je suis un pauvre administrateur et un médiocre officier ; la bourgade où je suis cantonné avec tous ces Flamands est humide et boueuse ; ces pauvres gens sont tous très malheureux, ne sachant pas, depuis plus de deux mois, si leurs maisons sont debout et leurs enfants vivants. Mais je ne regrette pas le parti que j’ai pris. Tout cela s’accorde bien avec la grande tristesse de l’heure présente… Si de noires pensées m’envahissent, je songe à ceux qui pâtissent dans les tranchées, et alors mon sort me semble