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essayant d’élargir son terrain le 9 juin ; Mangin l’arrêtant par un coup de flanc ; l’attaque suprême de l’ennemi se préparant alors ; Foch disant à Pétain : « L’ennemi doit être arrêté là ; » Pétain disant à Gouraud : « Vous vous sacrifierez pour la France ; » le roulement du tir de préparation commençant dans la nuit du 15 juillet ; la marche de l’ennemi à travers nos premières positions abandonnées où le feu de l’artillerie l’écrase ; l’échec sanglant de la grande attaque allemande ; alors notre masse de manœuvre sortant des couverts de Villers-Cotterets et tombant dans le flanc ennemi ; puis la succession des grandes victoires : la bataille du 9 août, élargie de proche en proche jusqu’à la fin du mois ; la reprise de Saint-Mihiel par les Américains le 12 septembre ; la triple attaque des 26, 27 et 28 septembre ; enfin le refoulement général, l’ennemi rejeté en désordre, tandis qu’une attaque se prépare sur ses communications, attaque pour laquelle nous avons cent divisions de réserve, et les Allemands quinze. « L’ennemi fuit devant la cavalerie alliée, qui, après quatre ans d’immobilité, galope à la victoire… Mais quelque hâte qu’il mette à se retirer, quelques efforts qu’il fasse çà et là pour retarder notre poursuite, il va être étranglé sur la Meuse avant de pouvoir rentrer en Allemagne. Dans peu de jours, il n’aura d’autre issue que la capitulation en rase campagne. Il préfère capituler entre vos mains… »

Dans toute cette conclusion, la voix du président frémit et s’anime. On voit les lignes se mouvoir, les armées avancer, les généraux atteindre les villes, les troupes épuisées marcher encore, marcher sans repos, exploiter à fond le succès. On entend la voix du maréchal qui jette en avant toutes ces masses. Et si ce souvenir est permis, je l’entends, tel que je l’ai entendu, en octobre 1918, debout devant le tableau de ses cartes, expliquer ce qui restait à faire à l’ennemi, s’il voulait se sauver. Comme je lui parlais de retraite échelonnée, il haussa vivement les épaules. « Ils n’ont plus le temps de ces élégances-là, dit-il. Au Rhin ! Tout le monde au Rhin ! Au plus vite ! » Et sa main balayait la carte, comme elle avait balayé le terrain où fuyaient les armées allemandes. M. Poincaré, qui a vu souvent de telles scènes, les faisait voir à son tour. Il donnait solennellement le récit et la preuve de cette immense défaite que l’ennemi nie encore, et dans ces derniers jours de son pouvoir, dans ces moments où les paroles ont tout leur poids, il affirmait la volonté de la France de ne pas laisser compromettre la paix, et la sécurité de l’avenir.


HENRY BIDOU.