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les pouvoirs du président de la République ? Quels sont les pouvoirs du Sénat ?

Le président Wilson ne s’est-il pas hasardé en venant prendre part en personne aux négociations et en engageant l’avenir de son pays, sans consulter ? Nous n’avons rien à voir là-dedans et il appartient aux Américains d’en décider.

Et pour dire le fond de ma pensée, je trouve qu’on nous a fait une montagne de ces fameuses « réserves » américaines. En somme, elles reviennent toutes à ceci : personne n’a qualité pour jeter les États-Unis d’Amérique dans une guerre ou une complication quelconque sans leur assentiment. Eh bon Dieu ! Qui se fait la moindre illusion à ce sujet ? Qui donc pense qu’on attacherait ce puissant Gulliver avec les bouts de ficelle d’un traité ? Il faut avoir la vanité protocolaire poussée jusqu’au délire pour accumuler, à notre tour, des « réserves » sur ces « réserves. » A ce train, on n’en finira jamais.

J’ai peine à comprendre, quant à moi, l’attitude de certains hommes d’État anglais, qui, au lieu d’apaiser un différend purement formel, tendent à l’aggraver. De quelle pensée émane l’article de M. Winston Churchill : « L’Amérique nous abandonnera-t-elle ? » D’où vient la déclaration un peu réticente de M. Bonar Law aux Communes ? Pourquoi ce bruit répandu, venant d’on ne sait où, que l’on était décidé en Europe à se passer de l’Amérique ? Pourquoi, enfin, cette interview, attribuée à lord Robert Cecil, jetant par-dessus bord, non seulement le traité, mais l’alliance ? Quand on affecte ainsi de faire porter sur l’Amérique des responsabilités qui, grâce à Dieu, ne sont pas les siennes, on fait une question de ce qui, précisément, n’est pas en question. Quand on s’écrie dramatiquement : « Il ne reste plus qu’à laisser la France seule sur le Rhin en face de l’Allemagne et probablement plus tard en face de la Russie, » on agite un fantôme dont l’évocation, à elle seule, peut faire beaucoup de mal. On ne parlerait pas autrement si l’on voulait encourager l’Allemagne à la résistance.

La vérité est toute différente et je pense bien que l’Allemagne ne s’y trompera pas. Non seulement l’Alliance existe en fait, — et tout fait espérer qu’elle existera bientôt en droit, — mais la conviction des États-Unis, à ce point de vue, est si forte que si le moindre péril reparaissait du côté allemand, les États-Unis se lèveraient comme un seul homme contre un impérialisme