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Meuse, le commandement français regardait seul vers la Picardie.

En 1917, le général Foch n’a pas de commandement effectif, et M. Poincaré passe rapidement sur cette année douloureuse. C’est sur l’année 1918 qu’il nous donne des renseignements décisifs. Il en a tracé un tableau vraiment magnifique. Imaginez l’auditoire frémissant et coupant les phrases de bravos. Imaginez dans la salle, immobiles et comme impassibles, les héros même de ces grands exploits. A côté de Foch, Joffre en dolman noir, et, à côté de Joffre, Pétain, en tenue de campagne : les trois maréchaux sont là côte à côte. On parle de la 10e armée et tous les yeux se portent, à l’autre bout de la salle, sur Mangin, brun, énergique, la mâchoire tendue et les cheveux en brosse. On parle de la bataille de l’Ourcq, et tout le monde regarde, avec un respect ému, dans l’hémicycle, cet homme immobile, aux yeux fermés, dont la tempe gauche est brunie et enfoncée : le général Maunoury. A chaque souvenir de ces victoires, le public entier est debout. Eux, les héros, restent fixés dans la même attitude, sans qu’aucun muscle de leur figure bouge. Ils ont fait leur devoir.

Tout d’abord M. Poincaré nous montre que le coup de poing allemand du 21 mars a manqué de bien peu son but, qui était de séparer les armées françaises et les armées britanniques ; car le 24, le général Pétain, dans une instruction, prévoit cette séparation : « Avant tout maintenir solide l’armature de l’ensemble des armées françaises. Ensuite, si possible, conserver la liaison avec les forces britanniques. » Et le 25, le maréchal Haig veut se retirer sur les bases maritimes. La portée de ces paroles apparaît tout entière si on se rappelle que, dans la journée historique du 26, après avoir pris le commandement suprême, Foch donna immédiatement comme instructions à Haig de défendre Amiens, à Pétain de maintenir la liaison avec les Anglais.

Aussitôt l’ennemi arrêté (il fît encore un terrible effort le 4 avril), le maréchal Foch préparait déjà une contre-offensive quand les Allemands attaquèrent la Flandre le 9. On sait comment ils furent arrêtés dans le cul-de-sac de la forêt de Nieppe. A partir de ce moment, le discours de M. Poincaré n’est plus qu’un splendide résumé de ces péripéties sans exemple dont la France frémit encore : l’attaque allemande du 27 mai, l’ennemi arrivant de l’Ailette sur l’Aisne, sur la Vesle, sur la Marne, sa victoire devenant dangereuse pour nous par l’allongement qu’elle impose à nos divisions amincies, et à lui par la poche qu’elle crée et où son flanc est menacé ; l’état-major allemand