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seul capable de garantir dans les circonstances graves la liberté et l’équilibre du jugement, retenons qu’une intelligence plus exacte des besoins de l’État s’imposait déjà au commandement et créait cette nécessité, que la guerre nationale a accentuée de nos jours, de son entente complète avec le gouvernement... » Cette phrase aussi est peut-être une réponse ; elle est en tout cas une leçon.


M. Poincaré a tracé un beau portrait de M. de Vogüé et fait un bel éloge du maréchal. On connaît cette voix au timbre mordant, qui force l’attention et bientôt la conquiert. Le discours commence lentement, d’un ton contenu, déjà solennel, mais calme. On sent que ce n’est pas la harangue ordinaire. Après sept ans de pouvoir, M. Poincaré vient rendre témoignage devant ses pairs, devant ceux qui illustrent par la science et les lettres cette France qu’il représente.

L’essentiel de ce discours, c’est ce qu’il nous a appris de nouveau sur la conduite de la guerre. Si la question que pose l’emploi du XXe corps que commandait le général Foch à Morhange n’est pas tranchée par la phrase très estompée du président, voici maintenant le général à la tête de la 9e armée : pendant la bataille de la Marne, il exécute la fameuse manœuvre de Fère Champenoise : il fait passer la 42e division de sa gauche à sa droite pour tomber dans le flanc de l’ennemi qui presse cette droite. Ici nouveau problème : les uns attribuent à cette manœuvre le gain de la journée, les autres assurent qu’elle n’a pu avoir d’action, et que l’ennemi s’est retiré avant qu’elle se fasse sentir. M. Poincaré adopte une solution mitigée. La 42e division « apparaît enfin à la tombée de la nuit, et avant même qu’elle ait pu s’engager, l’ennemi décontenancé par ce déploiement de forces nouvelles et renseigné, d’ailleurs, sur les échecs qu’ont subi les autres armées allemandes, sonne la retraite. » Les épisodes de la bataille d’Ypres, la ténacité de Foch s’imposant à French, et lui persuadant de maintenir le 1er corps là où il est, malgré ses pertes, sont des faits déjà connus, mais qui sont désormais consignés par le témoin le plus autorisé de toute l’histoire de la guerre. De même quelques-uns savaient déjà, mais le public ignore en général ce que M. Poincaré dit ensuite : que l’offensive de la Somme a été préparée dès l’automne de 1915, aussitôt après la bataille de Champagne, et que la bataille de Verdun est venue au travers de ces préparatifs sans pouvoir les faire cesser, de sorte que, quand le monde entier avait les regards fixés sur la