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même résolu devant eux, sans qu’il y paraisse, un des problèmes les plus délicats de l’histoire de cette guerre. On sait que l’un des reproches adressés à l’état-major français est d’avoir tardé jusqu’au 15 août 1914, à étendre son aile gauche pour répondre à la manœuvre enveloppante que les Allemands dessinaient en Belgique depuis le 4 août. Or quelle était, du 4 au 15, la situation du commandement français ? Exactement celle du prince de Bade. Il se trouvait en présence d’une manœuvre ennemie à double détente. Les Allemands avaient bien montré des forces en Belgique. Mais le giron de leurs forces, dans la région de Luxembourg, pouvait aussi bien marcher à l’Ouest, en débordant notre gauche, que marcher au Sud pour tomber sur notre centre. Nous étendre prématurément vers la gauche, c’était courir à une menace qui pouvait être illusoire et faire précisément la faute dont Villars a profité. La sagesse était d’attendre que l’adversaire eût démasqué son véritable dessein. Cette révélation a été faite le 15 par l’attaque de Dinant et, aussitôt, l’état-major français, rendant la main au général Lanrezac, l’a laissé appuyer vers l’Ouest... Rien de cela n’est dit dans le discours du maréchal, mais tout s’y trouve, et si la coïncidence n’est pas calculée, elle est bien surprenante.

Le récit des batailles de Malplaquet et de Denain n’est pas moins instructif. Malplaquet est une bataille engagée au hasard, sans connaissance nette de la force et de la position de l’adversaire, sans idée de manœuvre, — et c’est une défaite. Denain au contraire est une manœuvre très bien conçue, montée contre les communications de l’adversaire, en toute connaissance de cause, — et c’est une victoire. Le maréchal a-t-il voulu dire seulement qu’il fallait reconnaître exactement l’adversaire avant de le frapper, et le frapper précisément au point reconnu sensible ? Ce serait la justification de tout son enseignement, qui est fondé sur la sûreté de l’information, la connaissance des mouvements de l’ennemi et la manœuvre appropriée à ces mouvements. Mais il y a plus. Car enfin il reste à expliquer pourquoi Villars a bien manœuvré à Denain, et mal manœuvré à Malplaquet. C’est qu’à Malplaquet il n’obéit qu’à demi aux ordres du Roi ; celui-ci avait interdit l’offensive ; Villars ruse avec ses instructions et n’osant pas désobéir jusqu’à attaquer lui-même, se fait attaquer. Il y a donc divergence entre la politique générale et l’action de l’armée ; cette armée qui ne suit pas franchement l’impulsion d’en haut, est mal employée ; mal employée, elle est mal engagée, et finalement elle est battue. « L’incertitude puis le désarroi de la conscience avaient préparé la détresse de l’esprit et de la volonté. Sans parler du caractère,