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mieux affirmer, les mains ont une secousse saccadée et la feuille tremble. Quelquefois la tête se renverse un peu et par-dessus le lorgnon, le maréchal dirige sur la salle ce regard lourd, plein de pensée, que voile la paupière bombée et qu’enchâsse l’arcade des sourcils inégaux.

La curiosité qui attendait les discours n’était pas toute littéraire. Deux hommes qui ont tenu de si grandes places et qui ont été les acteurs d’événements si importants et si mal connus, devaient avoir l’un et l’autre quelque chose à dire. Au contraire de ce qui arrive parfois sous la Coupole, la matière de leurs discours importait plus encore que le tour. Ce quelque chose, ils l’ont dit tous deux, le maréchal Foch dans un langage allégorique, M. Poincaré sous la forme la plus précise.

Le maréchal avait à faire l’éloge du marquis de Vogüé, orientaliste, diplomate et président du comité central de la Croix-Rouge. Il l’a fait en bons termes, mais l’essentiel de son discours n’est pas là. M. de Vogüé a composé une histoire du maréchal de Villars, de telle sorte que, dans la circonstance, il a principalement servi à rapprocher les deux hommes de guerre qui, à deux siècles de distance, après de rudes épreuves, ont conduit la France à la victoire. De l’œuvre du marquis de Vogüé, le vainqueur d’Ypres a retenu cette histoire du vainqueur de Denain. Et dans cette histoire même il a choisi. Il a laissé de côté l’homme même, et il a analysé trois batailles, trois cas concrets, selon sa méthode à l’École de guerre : Friedlingen, Malplaquet et Denain.

Il les a analysés sans faire aucune allusion, au moins en apparence, aux grands événements qu’il vient de diriger. Je dis en apparence, et on va voir pourquoi. Suivons sa démonstration. Il raconte la bataille de Friedlingen. Son exposé est très clair, mais rigoureusement technique. Il s’agissait pour Villars de franchir le Rhin et d’enlever sur l’autre rive les positions éloignées qu’occupait le prince de Bade. Que fait Villars ? Tandis qu’il prépare l’assaut, il fait établir par un détachement un passage, à 30 kilomètres en aval, à Nauenbourg : maître ainsi de deux têtes de pont, il peut tromper son adversaire, le menacer sur un point et passer sur l’autre. C’est ce qui arrive. Le prince de Bade va l’attendre à Nauenbourg, tandis qu’il passe devant Friedlingen. Le prince détrompé revient en toute hâte, mais doit livrer une bataille improvisée et se fait battre.

Pourquoi le maréchal a-t-il donné cette petite leçon d’art militaire à ses nouveaux confrères ? Il s’est gardé de le dire, mais il a tout de