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J’ai indiqué dans ma dernière chronique quelques-unes des méthodes récentes qui permettent de déduire les distances des étoiles de certaines de leurs particularités spectrales et photométriques. Appliquées à l’amas d’Hercule, ces méthodes ont montré que cet amas a une parallaxe légèrement inférieure à un dix-millième de seconde d’arc, ce qui correspond à un peu plus de 36 000 années de lumière.

Il est assez difficile, même quand on a une imagination que rien n’effraye, de concevoir ce que représente un pareil éloignement. Exprimée en kilomètres, cette distance serait indiquée par le nombre 35 suivi de seize zéros, et on la dénommerait correctement en disant qu’elle est égale à trois cent cinquante mille trillions de kilomètres. C’est près de dix mille fois la distance qui nous sépare de l’étoile la plus rapprochée, de cette Proxima dont j’ai parlé l’autre jour ici-même. C’est à peu près deux milliards de fois la distance qui nous sépare du soleil. C’est cinq mille fois la distance qui nous sépare de Sirius.

Voilà qui eût bien étonné M. Renan qui imaginait sincèrement avoir trouvé quelque chose d’aussi éloigné que possible de la terre lorsqu’il inventa le célèbre point de vue de Sirius. Les plus grands philosophes ont de ces naïvetés ! En réalité, Sirius c’est presque la banlieue pour nous et il faut être un peu myope et avoir, — philosophiquement parlant, — un minimum de vision distincte extrêmement réduit, pour ne regarder les choses de ce globule terraqué que du point de vue déplorablement géocentrique de l’étoile Sirius.

Maie évadons nous de ce cercle étroit et sans horizon et revenons à l’amas d’Hercule.

Étant donné sa distance, le rayon lumineux qui nous en arrive aujourd’hui, et qui parvient à nos lunettes, est parti en réalité de l’amas il y a 300 siècles. Si on se souvient que l’ère chrétienne dure depuis moins de 20 siècles et que tous les temps historiques de l’humanité n’atteignent pas 80 pauvres petits siècles, on concevra ce que représentent ces choses. L’amas d’Hercule pourrait avoir disparu depuis 360 siècles, ou il pourrait s’être modifié depuis lors de la manière la plus complète que nous n’en saurions encore rien. Depuis le jour où cet objet céleste a émis le frissonnant rayon de lumière qui nous arrive maintenant, et qui a voyagé sans arrêt, et à sa vitesse folle à travers l’infini glacé, mille générations humaines ont apparu et disparu ; des civilisations dont nous n’avons plus un souvenir ont fleuri ; des empires dont le nom même nous est inconnu ont été édifiés dans le sang et la douleur par des conquérants orgueil-