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et ceux qui se sont seulement défendus, les bourreaux et les victimes, on prêche leur fraternisation.

Chacune de ces tirades, chaque trait de cette phraséologie humanitaire, et c’était à prévoir, recueille les applaudissements de certains spectateurs. Ces applaudissements sont-ils spontanés, sont-ils organisés ? Je n’en sais rien. Je constate seulement qu’aux représentations où j’ai assisté, ils partaient toujours des mêmes points de la salle, comme jadis ceux de la claque. Il serait curieux que l’usage de la claque, abandonné presque partout, ne fût remis en vigueur que pour huer le drapeau et acclamer la guerre sociale.

De telles pièces auraient dû provoquer un tolle dans la presse théâtrale. Il n’en a rien été. Preuve nouvelle d’un mal que je signale depuis longtemps. La camaraderie d’une part, et, d’autre part, les relations de toute sorte établies entre les journaux et les théâtres, ont eu pour résultat l’effacement à peu près complet de la critique.

Avouerai-je que ce qui m’étonne, — et me choque, — le plus, c’est la passivité avec laquelle l’ensemble du public assiste à ces pièces ? Voilà des gens dont il n’est pas un qui n’ait, dans ses souvenirs de cette guerre, la mort d’un combattant auquel il a élevé dans son cœur un sanctuaire. Pères, mères, épouses, leurs fils, leurs maris, leurs frères ont cru qu’il existe des frontières et qu’elles sont sacrées. Ils ont cru que l’histoire, les traditions, les lois de notre pays et de la société qui nous abrite, forment un patrimoine qui ne doit pas périr, et pour le préserver de la ruine ils n’ont pas hésité à donner leur vie. Alors, comment permettez -vous qu’on bafoue publiquement les idées pour lesquelles ils se sont sacrifiés ? Et ne comprenez -vous pas que de tels propos sont une offense à vos deuils glorieux ?


RENE DOUMIC.