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appelle le bouleversement social. Cela, au moment où l’atmosphère est si trouble et les esprits sont si inquiets ! La plus effroyable tragédie vient d’ensanglanter la Russie et de là-bas elle fait peser sur le monde une menace qui se précise chaque jour. Toutes les forces de destruction se mobilisent contre la société à laquelle appartient chacun de nous, bourgeois français, et à laquelle nous devons tout ce que nous sommes. Choisir ce moment pour faire appel à la haine contre cette société est une œuvre délestable.

Il manque à l’Animateur un grand premier rôle. M. Arquillière est insuffisant dans le personnage de Dartès, où il aurait fallu la puissante carrure de M. Lucien Guitry. Mme Yvonne de Bray joue avec moins de sensibilité que de sécheresse nerveuse le rôle de Renée Dartès ; c’est d’ailleurs bien l’esprit du rôle : la fille selon l’esprit de Dartès doit être une intellectuelle plutôt qu’une sentimentale. M. Dumény réussit à faire passer le rôle de ce forban de lettres qu’est Gibert, et ce n’est pas un mince succès.


La pièce de M. Charles Méré, représentée au théâtre Antoine, pourrait avoir pour sous-titre : « Au-dessus de la mêlée. « Il s’en dégage un irritant plaidoyer en faveur de la réconciliation des deux peuples que la guerre dressa l’un contre l’autre. Cette guerre « détestée des mères, » c’est pour l’auteur la seule coupable. Il oublie l’agression, les crimes et les ruines, pour prêter aux deux adversaires l’excuse d’une irresponsabilité égale. Est-il besoin de souligner tout ce qu’a de pénible et de choquant ce « généreux » appel à une fraternité qui, pour notre pays assailli et meurtri, équivaudrait à un reniement ?

L’auteur lui-même s’en est peut-être rendu compte, puisqu’il a hésité à appeler par leurs noms les adversaires qu’il confronte. C’est en d’imaginaires pays qu’il a placé ses personnages. Femme d’un Neustrien, — entendez d’un Français, — qui l’a rendue malheureuse, Sabine Folster s’est remariée avec un étranger, un Gallois, établi en pays neutre et qui est mort en lui laissant deux fils. Ceux-ci ont l’âge d’homme quand éclate la guerre. Ils sont, on le devine, de la race qui la voulait « fraîche et joyeuse. » Ils se hâtent de rejoindre leur corps. malgré les supplications de leur mère qui eut, du premier lit, un fils, Neustrien comme elle et resté en Neustrie, et qui s’épouvante à l’idée que des frères, égaux devant sa tendresse, vont peut-être s’entretuer.

L’aîné des deux Folster est tué, le cadet revient aveugle. Le fils