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la fortune politique d’un chef de parti en lavant en public son linge sale de famille ? S’imagine-t-il qu’il soit indispensable d’avoir les mains propres pour faire une révolution ? Tant de naïveté déconcerte. Ou bien le livre de Gibert contient-il sur Dartés des renseignements qui en effet le disqualifient, lui, personnellement ? On ne nous le dit pas. Toujours est-il que Renée Dartès redoute terriblement cette publication. C’est pour l’empêcher qu’elle est venue au journal de Gibert. Que le pamphlétaire retire son livre, ou bien elle se tuera sous ses yeux. Comme dit celui-ci, c’est le « chantage au suicide. »

Sur ces entrefaites, arrive Dartès. Dans cette pièce tous les personnages se donnent rendez-vous là où on s’attendait le moins à les rencontrer. Dartès a appris que Renée était allée trouver Gibert dans son cabinet. Connaissant son histoire contemporaine, il ne doute pas que ce ne soit pour tirer sur ce directeur de journal. Il s’empresse pour retenir le coup prêt à partir. Une discussion s’engage au cours de laquelle Dartès esquisse les grandes lignes de son idéal politique et social. Il ne va pas jusqu’à crier « A bas l’armée ! » ni « A bas la patrie ! » Mais il proclame que l’homme n’a pas le droit de tuer, il maudit la guerre, et il appelle le jour où une grande vague révolutionnaire emportera la société bourgeoise et fera la place nette pour la Cité future, amenant l’avènement de la fraternité et de la félicité universelles.

Or les amis de Gibert ont organisé une manifestation contre Dartès. La rue joue un rôle important dans cette pièce : on la sent frémissante, prête à envahir la scène. Ayant vu entrer Dartès dans les bureaux du journal, les manifestants craignent pour Gibert. Alors, quand Dartès parait à une fenêtre, deux coups de feu parlent de la foule. Il tombe entre les bras de Renée et meurt sous nos yeux. Il a été victime de l’idée. Il est le Christ de la révolution sociale.

L’intérêt qui s’était soutenu dans les deux premiers actes fait complètement défaut à celui-ci, où tout est factice et heurté, uniquement agencé en vue de l’effet.

Le malaise qu’on éprouve à entendre une telle pièce, vient d’abord de ce qu’une fois de plus elle se passe dans un affreux monde et étale sous nos yeux une série de turpitudes publiques et privées. L’art en est à la fois raffiné et violent, afin d’agir plus sûrement sur nos nerfs. Le ton en est sans cesse déclamatoire. A l’heure qu’il est, la déclamation sévit sur notre théâtre. Cette déclamation forcenée, qui donne à quelques-uns l’illusion de la littérature,