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Suisse et de redevenir uniquement le littérateur qu’il a été, ignorant de la politique et de ses conflits.

Ici un coup de théâtre, à vrai dire très attendu, et qui ne pouvait manquer de se produire. Il était inévitable que, tôt ou tard, Renée apprît le « secret de sa naissance. » Elle l’apprend de la bouche de sa mère, venue tout exprès pour commettre cette infamie. Cette méchante femme, comme on dit, n’en rate pas une. L’atroce révélation va produire dans les sentiments de Renée un revirement brusque et complet. C’est ici le tournant de la pièce. Depuis qu’elle sait que Dartès n’est pas son père, Renée ne se sent que davantage sa fille. S’il n’est pas son père suivant la chair, il est son père spirituel. Et c’est bien mieux. Mais alors, et contrairement à son langage de tout à l’heure, elle conseille à Dartès d’accepter l’offre des camarades. Qu’il se mette à leur tête, qu’il les mène au combat ! Maintenant qu’entre Dartès et elle subsistent seuls les liens de la pensée, elle est libérée de ses timidités, elle l’engage à entrer dans la lutte, elle l’excite, elle l’anime. Car c’est à elle que conviendrait ce nom que semble si peu mériter Dartès. Elle est l’animatrice. Mais lui, auprès de qui, à quel moment joue-t-il le rôle d’animateur ? Tout à l’heure il hésitait ; maintenant il suit, il subit. Tout à l’heure les camarades s’efforçaient de l’initier aux beautés et à la toute-puissance de l’idée : c’est sa fille maintenant qui met en lui ses propres colères et la rancune de ses propres souffrances. L’auteur a bien pu louanger son Dartès à tour de bras ; il n’a pas su nous donner l’impression que nous fassions en présence d’un de ces remueurs de foules ou remueurs d’idées qui font passer en autrui la foi dont ils sont eux-mêmes transportés. Ni décision, ni flamme, ni éloquence. C’est le plus falot et le plus inanimé des animateurs.

Au troisième acte, autre bureau de journal, le journal de Gibert, qui est en même temps maison d’édition. Une caverne de bandits, vous vous en doutez. Pour démolir Dartès, qu’il considère comme un péril national, Gibert a écrit un livre, — un roman à clé, si j’ai bien compris, — où il le traîne dans la boue. Et voici ce qui complète et parachève l’infamie du procédé. Ce livre, il l’a écrit en collaboration avec Mme Dartès. C’est à l’aide des révélations et des confidences de la femme deux fois coupable, qu’il a rédigé ces pages empoisonnées. Il a fait ce livre avec les secrets du mauvais ménage. Quelle boue ! Toutefois, si je vois très bien la malpropreté de la manœuvre, j’en vois moins clairement l’efficacité. Que Mme Dartès ait trompé son mari, cela ne déshonore qu’elle seule. Et ce Gibert croit-il qu’on ruine