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paroles infâmes et bondissant sous l’outrage, Dartès se jette sur Gibert et le prend à la gorge. Et nous assistons à la scène de colletage qui, jusqu’ici, était plutôt une spécialité du théâtre de M. Bernstein. Que ce soit d’ailleurs dans l’un ou l’autre répertoire, ce moyen de théâtre a la même valeur littéraire.

Dartès interroge sa femme. Celle-ci dirige aussi un journal, mais un journal conservateur, et elle a, dès le début, répudié toute solidarité avec la soudaine incartade de son mari. Je vous laisse à penser comment elle sera arrangée dans la pièce. Le silence qu’elle oppose aux questions pressantes de Dartès équivaut au plus complet des aveux. Elle se drape dans sa dignité de femme adultère. Elle se range avec éclat parmi les adversaires de son mari. Elle l’abandonne. Tout le monde l’abandonne.

Tout le monde, sauf sa fille, qui n’est pas, mais qui se croit sa fille. Arrivée à son tour dans ce cabinet où sa présence semble un peu insolite, et mise au courant de la situation, elle se jette dans les bras de Dartès. Ce père, qu’elle n’aime pas seulement, mais qu’elle admire, rien ni personne ne la séparera de lui. Paria de la société, elle lui sera pieusement fidèle ; elle sera celle qui reste, quand il n’en reste qu’une ; elle l’accompagnera dans son âpre exil ; elle sera pour lui l’éternelle Antigone. C’est sur cette note de détente et d’attendrissement que se termine ce premier acte, très plein, très dru, bien charpenté, et, au point de vue du métier théâtral, l’un des meilleurs qu’ait construits M. Bataille. Et dès ce premier acte les positions sont prises. Tous les représentants des idées de conservation sociale, les actionnaires du journal, Gibert, Mme Dartès nous sont donnés pour des égoïstes, des jouisseurs, des forbans et des fourbes. De l’autre côté, des saints et des martyrs.

Au second acte, dans la petite maison de banlieue où Dartès s’est retiré avec sa fille. Depuis qu’il a quitté son journal, en faisant claquer les portes, cette rupture sensationnelle l’a désigné aux sympathies des groupes révolutionnaires. Ils voudraient mettre la main sur lui. ils lui offrent la direction d’un nouvel organe, la Lumière. Acceptera-t-il ? C’est ce matin même qu’il doit donner sa réponse. Les camarades attendent cette réponse, de l’autre côté de la rue, chez le mastroquet, où il est exact que se traite une partie des affaires publiques. Dartès hésite. Renée le pousse à refuser. Du jour où il se sera lancé dans la lutte, ce sera fini de cette paisible vie de famille où elle est toute sa famille. La tendresse qu’elle a pour ce père si bon et si malheureux, la rend craintive. Elle lui conseille de se retirer en