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accusé de mettre d’un côté toutes les vertus et de l’autre tous les vices.

Au premier acte, nous sommes dans les bureaux d’un journal où règne une grande effervescence. Sur la table du directeur littéraire, Dartos, depuis le malin s’accumulent les télégrammes. Mais lui, Dartès, est introuvable. C’est lui qui a déchaîné la crise qui, en ce moment, bouleverse ce grand journal parisien et affole son personnel, en y faisant paraître un article de la dernière violence, contraire à la ligne politique du journal. Les désabonnements pleuvent. Le Conseil d’administration vient d’être convoqué d’urgence. Dartès, qui s’est enfin décidé à revenir, après avoir passé la journée à se promener dans les bois, comparait devant lui. Après une discussion très mouvementée, et comprenant que sa situation est devenue impossible, il donne sa démission.

Que dans cette affaire il ait agi avec une parfaite indélicatesse, cela saute aux yeux. Le directeur d’un journal, s’il en est en même temps le propriétaire, peut-il, du jour au lendemain, en changer le caractère ? Cela n’est pas bien sûr. Car il a partie liée avec les abonnés qui, sur un programme déterminé, lui ont apporté leur argent. En tout cas, il est le maître et prend sur lui les risques de l’opération. Mais l’homme qui a été mis par d’autres à la tête d’une entreprise qui ne lui appartient pas, et dont il a accepté les conditions, n’a pas le droit de manquer à son engagement. Dartès le sait si bien qu’il a glissé son article par surprise, au dernier moment, en échappant au contrôle du secrétaire de la rédaction. Après quoi, et le coup fait, il est allé prendre l’air. Il a commis une faute professionnelle, et il n’en ignore. Il a risqué des intérêts qui lui avaient été confiés. Il a manqué à la plus élémentaire probité.

Or, les membres du Conseil d’administration qui soutiennent cette thèse nous sont présentés comme autant de ganaches, prudhommesques, égoïstes et avides. Au contraire, Dartès est le personnage sympathique, le persécuté, dont on nous donne à admirer l’attitude fière et dédaigneuse. Car, du moment qu’on est de l’autre côté de la barricade, tout est permis.

L’article qui a mis le feu aux poudres, l’article brûlot, était dirigé contre le fougueux polémiste Gibert. Celui-là, étant un journaliste de droite, va nous être dépeint sous des traits continûment odieux. Introduit auprès de Dartès, Gibert, pour se venger, lui révèle ce que tout le monde sait, excepté lui : que, depuis vingt ans, sa femme le trompe et que sa fille, Renée, n’est pas sa fille. Souffleté par ces