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peuples se développe suivant son caractère, son histoire, son milieu, et que tous deux s’estiment et, à l’occasion, fassent cause commune. C’est la vraie formule. La pièce de M. Brieux peut être jouée en Amérique. Elle y sera écoutée avec la même sympathie que chez nous. C’est qu’il y circule un esprit de bonté vraie, une cordialité saine et robuste ; on y marche sur un terrain solide, au lieu de se perdre dans des nuées grosses d’orage ; on y parle un langage simple et net, au lieu de se payer de grands mots et de rêves troubles dont, plus que jamais, la malfaisance est en marche.

Que la Comédie-Française, un an après la guerre, ait pu jouer les Chaînes de M. Georges Bourdon, c’est une erreur que je n’arrive pas à m’expliquer. J’ai assisté à la dernière répétition de la pièce, la seule où nous ayons été conviés. Il paraît que, depuis lors, certains passages ont été modifiés ou supprimés. Mais ce n’était pas telle ou telle réplique, c’était la pièce en elle-même et dans son ensemble qui nous avait péniblement impressionnés. A Etretat, en août 1917, un Français, Robert Piérard, internationaliste avant la guerre et dont la guerre a fait un patriote et un brave soldat, — blessé, fait prisonnier, évadé d’Allemagne, — retrouve une femme qui a été sa maîtresse, Lydie Wladimirowna, une Slave, humanitaire, révolutionnaire, bolchéviste avant la lettre. Entre elle et lui s’engage une lutte d’idées. L’un et l’autre, tour à tour, exposent, en propos alternés, les deux théories adverses. Je m’empresse de dire que l’auteur a eu soin d’opposer à chaque argument pacifiste l’argument contraire, que des deux c’est Robert Piérard qui tient les discours les plus abondants et que finalement il s’éloigne de celle dont il désapprouve et déteste les théories. Il reste qu’à la faveur de ce dialogue, l’anarchiste russe a tout loisir de développer ce thème que la patrie est « un concept transitoire »... Qu’un personnage dans une pièce française puisse, en termes soigneusement limés, avec toute la passion qu’y peut mettre la belle artiste qu’est Mme Segond Weber, exposer la doctrine qui a fait mettre bas les armes aux armées russes, a failli faire le succès de l’Allemagne, et a augmenté de centaines de mille le nombre des Français tués sur le champ de bataille, voilà ce qui soulève notre conscience et réveille la blessure de nos cœurs.

Quelques personnes aujourd’hui demandent qu’on ne parle plus de la guerre. Aiment-elles mieux qu’on leur parle de la guerre sociale ? L’Animateur est une pièce de guerre sociale dont la signification ne peut faire aucun doute, le parti pris y étant nettement