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tribune aux utopies de l’internationalisme, aux bêlements de la fraternisation et aux excitations contre la société où nous vivons ! De la Comédie-Française au Gymnase, et du Gymnase au Théâtre-Antoine, dans des pièces qui se font écho, nous entendons déclarer que les peuples doivent se réconcilier, que la guerre est impie à moins que ce ne soit la guerre entre Français, et qu’il est temps de renverser tout ce que nos enfants et nos frères ont défendu les armes à la main, protégé de leur corps et sauvé au prix de leur sang ! Il se trouve des auteurs pour composer de telles pièces, des directeurs pour les faire représenter, un public pour les écouter patiemment ! Et c’est à peine s’il s’est trouvé quelques écrivains dans la presse pour faire remarquer, discrètement et en y mettant toutes les formes, que c’est peut-être un scandale.

A ces pièces fâcheuses il me suffirait d’opposer la noble comédie de M. Brieux, Les Américains chez nous, pour montrer comment un auteur en accord avec le sentiment foncier du pays peut prendre un sujet dans la plus brûlante actualité, en exposer les deux faces et rallier à soi tous les esprits sincères. C’est un dimanche, en matinée, que j’ai assisté à la pièce de M. Brieux, et que j’y ai assisté debout, n’ayant pu trouver même un strapontin dans la salle archi-comble. Français et Américains, ceux-ci fort nombreux dans la salle, écoutaient avec la même attention et accueillaient avec la même bonne foi, l’hommage rendu aux uns et aux autres et les vérités qui n’étaient ménagées ni aux uns ni aux autres. A la faveur d’une fable ingénieuse, qui ne pouvait être qu’une histoire de mariage, M. Brieux a su mettre en présence et souvent en contraste les caractères de deux peuples faits pour s’aimer et pour s’entraider, non pour se pénétrer ni surtout pour se confondre. D’un côté, le sens du passé, le respect de la tradition, le culte du souvenir et toutes les délicatesses d’une sensibilité longuement affinée. De l’autre, l’esprit tourné uniquement vers l’avenir, le besoin de faire vite et de faire grand. Deux mentalités dont chacune est à sa place des deux côtés de l’océan. Les Américains sont venus à notre aide, comme jadis nous avions fait pour eux ; les femmes américaines se sont penchées sur notre souffrance : elles ont été les sœurs de nos blessés, secourables à nos populations malheureuses. Voilà le fait dont nous leur serons à jamais reconnaissants et qui scelle à nouveau une amitié déjà plus que séculaire. Est-ce une raison pour que nous nous mettions à l’école des Américains ou pour que nous nous efforcions de convertir les Américains à nos usages ? Nullement ! Que chacun des deux