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n’y avait pas un diplomate, un homme libre en Europe qui ne souffrit, chaque jour, de cette morgue, de cette insolence, de ces ingérences, de ces prétentions à l’hégémonie et du bruit que le moindre grimaud de boutique faisait avec le sabre impérial traînant sur le pavé. Fatalement ce sabre devait sortir du fourreau. Il en est sorti... L’Allemagne sait à quel prix pour elle-même et pour l’univers.

Si l’Allemagne a compris, si elle est animée de sentiments plus raisonnables, si sa défaite l’a induite à abandonner la dynastie aux 500 uniformes el les Etals-majors aux clous de bois, alors elle reprendra, aux yeux du monde, l’aspect d’une personnalité, peut-être encore encombrante el d’un tact douteux, mais avec laquelle, du moins, on essaiera de s’accommoder.

Tout dépend donc de l’Allemagne elle-même. La génération actuelle subit, nous l’admettons, les entraînements des passions qui ont provoqué les autres peuples et amené la guerre ; elle n’a pas échappé aux effets de la « manœuvre morale » qui, pendant quatre ans, lui a fait croire à la victoire quand la guerre était perdue depuis longtemps ; elle n’a pas encore réalisé sa défaite : cela même nous le comprenons. Mais la génération qui vient, que sera-t-elle ? Militariste ou pacifique ? en casque ou en chapeau melon ? entrera-t-elle dans l’histoire au pas de parade ou, simplement, au pas de marche. Toute la question est là.

En attendant, la France, quel que soit son gouvernement, est décidée à serrer de près les exécutions qui font sa sécurité et à ne rien abandonner de ses droits. Qu’on se le dise bien de l’autre côté.

Et que l’on comprenne aussi que nous ne sommes pas isolés et que, tout au contraire, notre République possède, en ce moment, une puissance de propagande incomparable. Elle a le prestige de la victoire ; mais ce n’est pas cela seulement : on la sent sage, modérée, bien ordonnée, — un peu exsangue peut-être, mais d’autant plus raisonnable. De toutes façons, on lui fait crédit et on croira des choses un peu ce qu’elle en dira. Ayant vu d’avance et de loin, seule parmi les Puissances, ce qui se préparait, elle serait écoutée plus que jamais, si elle dénonçait au monde un péril renaissant.

Quand je publiais, ici-même, en 1916, mes premiers articles