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non plus au public français que l’on brime la Roumanie et la Serbie au profit de la Bulgarie pour des motifs un peu théoriques et lointains, dont on ne lui a d’ailleurs pas fait confidence.

En ce qui concerne ses propres intérêts, la France a subi certaines conditions de la paix qui eussent pu être améliorées. Sans aller jusqu’à la rupture, nos intérêts de fond eussent mérité une plus ferme défense. Le Rhin pèse, dans la balance, au moins autant que l’Adriatique ; on s’est incliné un peu promptement devant des raisons qui ne nous ont point paru des plus claires. Puisque les maîtres de l’heure n’étaient pas plus sûrs de leurs affaires chez eux, comment étaient-ils si sûrs de nos affaires chez nous ?

L’Allemagne devra donc tenir compte, d’une mise au point, comme on dit, qui se produit de jour en jour dans les esprits et, si elle la bravait, elle n’aurait rien à y gagner.


Ceci m’amène à envisager les futurs rapports de la France et de l’Allemagne. Là-bas, on nous accuse, à ce qu’il semble, de haïr l’Allemagne. Or, si extraordinaire que cela paraisse, après tout ce que l’Allemagne nous a fait souffrir, la France est incapable d’une haine éternelle. Elle déteste un ennemi cruel, fourbe et méchant : mais, qu’il se transforme, et elle se résignera aux conditions normales d’une vie européenne commune. Jadis, nos penseurs, nos poètes, nos philosophes, nos romantiques tournaient des yeux énamourés vers l’Allemagne. Cousin, Renan, Taine en étaient encore, à la veille de la guerre de 1870, à élever des statues à l’apologiste de la force, Hegel. Disons, en deux mots, que l’Allemagne de Weimar et même l’Allemagne de 1848 paraissait à nos pères une compagnonne de vie internationale convenable. On en est revenu de ces illusions. Mais, puisque la race germanique parait vouloir s’organiser en démocratie libre, rien ne serait plus naturel que de lui voir prendre sa juste place dans la grande amphyctionie que dirigera la Société des Nations. Avec la politique d’un Guillaume, avec l’impérialisme des Universités et des Etats-majors, avec l’aveuglement et l’entêtement bureaucratique des Bethmann Hollweg, avec la suffisance désespérante d’un Bülow, un apaisement quelconque était impossible. Sans parler de l’Alsace-Lorraine qui restait la blessure inguérissable au droit et à la justice, il