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passent entre 1913 et 1918 de 40 à 80 millions) ; mais le pays peu à peu se vide. Au printemps 1918, des émeutes éclatent dans les villes, à Sofia, à Stara-Zagora, à Sliven, à Philippopoti, à Tirnovo : les femmes saccagent les dépôts de vivres, lapident les magasins, réclament « du pain et la paix ; » le général Protoguerof, directeur de l’Office d’alimentation, compromis par ses tractations avec les autorités allemandes, doit donner sa démission. Des rixes éclatent entre soldats allemands et bulgares : en juin 1918, un train de farine, dont les wagons fermés sont étiquetés « grosse artillerie, » part de Sofia pour l’Allemagne, mais est arrêté, pillé en gaie de Nich ; les assaillants, des soldats bulgares, tuent le mécanicien, le chef de gare, des Allemands. Des Bulgares gagnent la Suisse, fuient la tutelle militaire et économique de l’Allemagne. Les mutineries s’étendent aux régiments du front, où des soviets apparaissent ; les désertions, dont le nombre toujours imposant avait pourtant décru quand eurent cessé les opérations actives « plus de 2 000 en 1916, 1500 dans les dix-huit mois qui suivirent), recommencent de plus belle. Un jour se rendant à nos hommes, inconscient ou houleux, un de leurs officiers affirme : « C’est là-bas que nous étions prisonniers. »

La faim aidant, le jour vint où l’alliance allemande sembla de moins bon rapport. Le Bulgare se vante d’être réaliste. « Il faut traire la vache qui donne le plus de lait, » énonce cyniquement Liaptchef. C’était du reste l’Allemagne qui avait trait la vache bulgare. Sans doute les victoires de Mackensen reconstituaient la Grande Bulgarie, mais ces victoires mêmes orientaient le pays sur une voie nouvelle. La révolution maximaliste, les traités de Brest-Litovsk (9 février, 3 mars) démolissent l’épouvantail érigé à San-Stefano ; les Russes sont écartés des Détroits. Aux préliminaires de Buftea (5 mars) l’ombre allemande se profile aux bouches du Danube : le Bulgare, qui se croyait déjà maître de la Dobroudja entière, voit imposer à ses appétits sur la basse vallée du Danube le frein du condominium (7 mai) et l’aiguillon des ambitions turques qui réclament la Maritza. Czernin, le 2 avril, prononce une offensive pacifique, admet le rapprochement de l’Autriche et de la Serbie ; l’Allemagne ne réagit pas contre le réveil hellénique : ce sont d’autres sujets d’inquiétude. Le malaise ne troublera pourtant les rapports germano-bulgares que dans la mesure de la faiblesse de l’Allemagne.