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fallut le clair bon sens et l’énergie froide du général Guillaumat pour refuser de prendre parti dans les querelles locales, pour établir une administration exclusivement militaire, gérante neutre et impartiale des intérêts du pays. Les officiers français se firent les tuteurs de l’administration indigène : un budget régulier tira ses ressources (46 000 francs par mois pour le « territoire » compris entre l’Albanie et la Grèce) de contributions ponctuelles qui semblèrent légères à la suite des exactions passées : dîmes sur les récoltes payables en six échelons, impôt sur le revenu progressif avec dégrèvement à la base « au-dessous de 5 000 francs) qui visait les gros bénéfices que valaient aux commerçants les importations italiennes ou grecques, taxes sur les actes judiciaires, les marchés et les octrois. Des caravanes acheminèrent les denrées de Verria à Koritza par Kogani ou Kastoria, quand les camionnettes italiennes n’apportaient pas, depuis Santi Quaranta ou Vallona, le vermouth, les vins, le chocolat, les allumelles, les huiles, les objets usuels du colporteur. En décembre 1915, le trésor de Koritza avait 4 000 francs en caisse ; le budget de 1917 se solda par un bénéfice de 1 250 000. Lorsqu’à l’automne 1917, la 57e division eut donné de l’air à la ville, repoussé les Autrichiens au delà du Malik, atteint le lac d’Okhrida, le pays délivré fut gouverné selon les mêmes règles : la première année de cette administration française, les finances du territoire de Pogradets eurent 180 000 francs d’excédent.

En septembre, les récoltes des territoires s’entassent dans les greniers de la ville : le blé, le seigle, l’orge, l’avoine, sont réquisitionnés, monopolisés par l’administration de Koritza ; chaque oke (1 280 grammes) de céréales, que le cultivateur dépose, lui rapporte de 0 fr. 70 pour le seigle à 1 fr. 20 pour le blé. Les dimiers entassent les achats aux quatre entrepôts de la ville. Ce sont petites boutiques basses et noires où des casiers à jour laissent ruisseler les grains lourds du blé, les grains acérés de l’orge, les grains légers de l’avoine. Le jour du marché, les consommateurs se présentent : paysans au fez blanc d’Albanie, les jambes gainées dans la bure noire, la vareuse sombre ouverte sur le gilet de laine blanche, paysannes vêtues de noir de la jupe au fichu de tête. Chacun doit présenter sa carte : le campagnard a droit à 640 grammes, le citadin à 450 ; un minime bénéfice (0 fr. 10 par oke) couvre