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l’écart des roseaux et des moustiques. Le paysan duit la plaine meurtrière : quelques rares et minuscules villages de torchis, de briques crues et de chaumes ; ni l’épi jaune du maïs ni le poivron vert ou rouge ne pendent en abondantes grappes bariolées comme chez le voisin des pentes ; les paysannes (il n’y a plus d’hommes) portent sur leur visage jaune, amaigri, sans jeunesse, les stigmates du paludisme, et la disette d’enfants, qui, au contraire, fourmillent dans le moindre hameau de montagne, décèle la précoce mortalité.

L’anophèle, qui transporte chez l’homme l’hématozoaire agent du paludisme, fit tomber, durant l’été 1916, plus de monde que le feu ennemi. De janvier à septembre 1916, dans la seule armée française, il y eut plus de 16 000 cas de paludisme, dont 388 entraînèrent la mort ; en juillet et août, la mortalité paludéenne atteignit près de 2 pour 100 (exactement 1,9), et beaucoup de cas de première invasion, rebelles à la quinine, étaient suivis de typhoïdes ou de cachexies rendant l’évacuation inévitable. Il fallait donc, dans l’intérêt de l’expédition elle-même, s’attaquer à cet autre et plus insaisissable adversaire. C’est pourquoi une mission permanente de prophylaxie antipaludique fut instituée à l’armée d’Orient. Elle débarque à Salonique le 30 avril 1917, et ses vingt médecins, ses 350 infirmiers se mettent tout de suite à l’œuvre.

Elle procède avec méthode : la Macédoine est divisée en secteurs qu’on explore ; une carte du paludisme se prépare et pour écarter les troupes des régions par trop malsaines et pour combattre préventivement et mécaniquement le moustique. En six mois (avril-octobre) l’examen porta sur 323 villages, sur 23 926 indigènes, dont la rate hypertrophiée indiquait l’impaludation : on put dès lors dresser la carte du paludisme endémique. Afin d’enrayer la contagion dans les cantonnements de la plaine, les indigènes furent soumis comme nos soldats à une médicamentation préventive. Pour lutter contre les larves dans les eaux stagnantes, on rectifie les berges des fossés et les bords des mares, on coupe les boucles, comble les anses, abat les saillants, faucarde les herbes aquatiques, cure et aplanit les fonds ; on assure à l’eau un écoulement régulier ; voire le lit est dédoublé : un système de vannes permet d’alterner le courant, de mettre à sec alternativement l’un et l’autre drain, jusqu’à la destruction des larves ; les