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crues s’effritent plus dans les eaux du marais qui gonde que sous les percutants des Alliés. Vers l’Est, les lignes s’attachent aux flancs pourris du Starkov grob, dont les granits et les schistes s’écaillent ou s’effeuillent dans des ravins noirs, se perdent dans les hêtraies ou les sapinières, s’agrippent à 2 000 mètres à la calotte neigeuse du géant rébarbatif, le Kaïmaktchalan, puis sur les crêtes grises et nues de ses cadets de la frontière.

Ces positions des sommets, qu’avec l’aide de notre artillerie lourde (presque tout entière sur leur front) les Serbes enlèvent une à une, prennent d’enfilade les ennemis d’en bas. Descendant des croupes conquises, l’armée serbe dévale sur la Tcherna, là où la « Rivière Noire, » quittant les marécages rouges, roule ses troubles eaux dans les rapides de Skolchivir, avant de s’enfoncer, entre des murailles sombres, au précipice des gorges. La tête de pont de Skolchivir, aux pieds de l’éperon nu du Tchouké, est occupée le 24 septembre; Brod, le « Pont, » est pris le 5 octobre. L’âpreté de la Boucle offre ses micaschistes et ses gneiss sans arbres, sans herbes, sans cultures, où la pierre scintillante de minuscules villages se fait basse et humble aux pieds des escarpements glissants. Infatigable, le Serbe poursuit son ascension que les contre-attaques allemandes (c’est le lieu critique) ne parviennent point à ralentir ; le 14 octobre, il s’installe à Gardilovo, à Baldentzi, à la lisière Ouest des hauteurs ; le 28, il prend d’assaut la tour élancée du Tchouké qui surplombe la « Rivière Noire ; » le 31, il est à Tepavtzi, le 2 novembre, à Iaratok à la latitude de Monastir ; le 5, il s’installe à 1 378 mètres, au point culminant de la région Sud de la Boucle de la Tcherna.

Cependant de front les succès n’avaient point été si rapides. L’ennemi, qui souffle enfin, pose ses fils de fer, s’organise en profondeur. Le 14 octobre, nos régiments se heurtent à de profonds réseaux bulgares : cet échec coûta à l’armée française 1 200 hommes et son général. Le 15 novembre, tandis que le nouveau chef suit sur le texte grec les leçons de Thucydide, les patrouilles, qui au petit jour erraient devant les tranchées bulgares, n’y trouvent ni homme ni canon. Dans la plaine, brouillard et pluie rendent la poursuite pénible ; à l’Ouest, dans la montagne, une tempête de neige entrave la lente marche des Italiens ; à l’Est, les armées serbes, et le 2e bis de zouaves, sautent