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éphémère conquête. Devant Kenali, dans la boue, l’armée bulgare se terre sur le sol serbe qu’elle veut garder (4 octobre).


L’offensive française victorieuse inquiète le commandement allemand qui, sur le front de Monastir, prend la tête de la défense. La Ire armée bulgare se fond dans la XIe armée allemande et von Wincklers, de Prilep, dirige le front défensif du lac de Prespa au Vardar. Si l’offensive roumaine appelle des troupes vers le Nord, les prélèvements sur le front Sud sont réduits au minimum (un régiment allemand, un régiment bulgare), sont bientôt compensés, au reste, par un second régiment allemand, et par des forces bulgares que, derrière la Strouma, une division turque relève : un régiment de la 101e D. I. allemande, cinq brigades bulgares passent de la IIe armée (à l’Est du Vardar) dans la plaine de Monastir. Ces mouvements décèlent l’inquiétude ennemie. Derrière les lignes de Kenali il n’y a plus de réserves. Déserteurs, prisonniers avouent cette pénurie des renforts avec la loquacité complaisante du soldat bulgare, qui fut le meilleur auxiliaire du bureau des renseignements, avec cette emphase orgueilleuse qui, à défaut de patriotisme, dépeint éloquemment ce mégalomane. « Qu’y a-t-il derrière vous ? » demandait-on en ce mois d’octobre à un de ces déserteurs, plus affamés de pain que de gloire. Et le bougre de répondre, non sans amertume : « Notre Seigneur Dieu et Sa Majesté le Tsar ! »

Au moins ignore-t-il que nos effectifs ont fondu, moins par le feu que par les fièvres : en un mois, on a évacué plus de 2 000 hommes : telle division française n’a plus que 5 000 combattants ; telle autre n’atteint pas ce chiffre ; la plus favorisée aligne 8 000 fusiliers et mitrailleurs ; la brigade russe a 6 000 hommes en secteur ; une batterie de 75 n’a plus qu’une pièce en action. Il est vrai que nos stocks suffisent à contenter les Bulgares. « A quoi bon ? disait un déserteur épouvanté de notre feu : quand nous tirons un coup, vous en tirez dix ! » Instruite par l’expérience de France, notre artillerie bouleverse les défenses accessoires. « Votre infanterie, on ne la voit jamais, » s’étonnait un autre vaincu, cueilli dans les boues de celte plaine molle, mi-noyé sous cette pluie d’octobre torrentielle. Dans les tranchées vaseuses, les parapets de briques