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sont éventrés ; les rares clochers de briques effondrés ne surgissent plus des bosquets non moins rares ; Mesdjidli, Lajets ne sont plus que monceaux de boue ; les monastères de pierres des pentes, Dragoch, Kristofor ne sont plus que croulants décombres. La gare de Monastir fume ; les casernes rouges offrent les plaies béantes des fenêtres ; la rue du roi Pierre présente ses devantures défoncées, ses boutiques pillées, ses minarets décapités, son bazar mort, et, devant l’étal des boulangeries basses, la foule pitoyable des mantes blanches baissées, des yeux timides, sombres des Macédoniennes ; Monastir meurt de faim. L’oke (1 280 gr.) de pain vaut 5 levas ((5 francs) ; l’oke de saindoux 13 levas. L’intendance française distribue des miches ; c’est le premier acte des secourables vainqueurs.

Du pain, la paix : ce sont les dons du nouveau venu. Comme il y a sept siècles, le Français, renversant la fragile domination du conquérant asiatique, apporte dans ce pays slave la civilisation d’Occident. Il délivre la Macédoine du Bulgare ; tandis qu’il monte la garde aux frontières de Grèce et attend l’heure de poursuivre l’offensive libératrice, il transfigure les plaines impraticables, improductives, meurtrières, il renoue la tradition de jadis, il relie à la geste de l’Achaïe, de la ThessaIonique du XIIIe siècle, l’œuvre nourricière et pacifique des croisés contemporains.


Le 14 février 1916, Mackensen paraît sur le front de la Macédoine. Les Bulgares, arrêtés depuis trois mois par la diplomatie allemande à la frontière gréco-serbe. sont impatients de compléter leur conquête, d’atteindre Salonique qui leur échappe depuis quatre ans. Tandis qu’ils creusent des tranchées dans la vallée du Vardar, ils concentrent leurs troupes sur l’autre voie d’invasion, dans la plaine de Monastir. Des régiments allemands viennent à la rescousse, corps alpin, bataillons de chasseurs exercés à la montagne, et, pour étayer les divisions bulgares, détachements de spécialistes, mitrailleurs, compagnies de chemins fer, artillerie de montagne et lourde, aviation, etc... De février à mai c’est un continuel mouvement derrière les lignes, construction de routes stratégiques, de chemins de fer à voie étroite, téléfériques par delà la Babouna. changements constants dans l’ordre de bataille,