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ne se départ point de son flegme oriental. Il en a vu d’autres depuis un demi-siècle qu’il erre sur ces champs de bataille. Il a été Turc, Serbe, Bulgare. Et maintenant que les Français entrent en maîtres, il change d’état civil : il est « Français. »

« As-tu donc peur des Français ? » demandait-on à un pauvre hère de quinze ans qui celait quelque larcin véniel, chétif, mais la mine éveillée et franche : « Pourquoi aurais-je peur ? répliqua l’enfant. Je n’ai rien à me reprocher et l’on n’a rien à me prendre. »

La politique du Macédonien tient tout entière dans ces deux réponses. Le soldat qui s’installe possède le pays par droit de conquête, et le vainqueur fera main basse sur les récoltes, sur les meubles, sur les troupeaux, sur les billets. Devant la force le Macédonien s’incline, résigné aux cataclysmes, à l’invasion périodique qui déferle à chaque automne, aux comitadjis ou aux réguliers ; le pauvre courbe la tête sous l’orage ; il attend la paix et le pain.

Les Bulgares viennent de partir. La razzia est générale : maintenant les villages de la plaine sont vides. Il manque 50 bœufs, 12 ânes, 2 chevaux à Jivonia, 100 bœufs, 25 ânes, 2 000 moutons à Slivitza, tout le blé de Balch, tout le foin de Kremian, 30 bœufs, 400 moutons à Skotchivir, 300 kilos de blé à Baukri, 40 000 kilos de blé, 300 chariots de foin, 300 chariots de paille, 28 bœufs, 8 chevaux, 80 moutons, 5 à 6 000 kilos de pommes de terre à Kanina, 28 bœufs, 30 porcs, tout le blé, toute la paille de Bistritza, les poutres de 15 maisons de Zabiani, et à Monastir 294 bovins, 2 754 moutons, 25 chevaux, 311 porcs, 123 ânes, 71 350 kilos de blé, 3 400 kilos de foin, 500 kilos d’orge, 9 437 kilos de laine, 3 400 kilos de paille. On compte à Monastir même 355 commerçants et artisans pillés qui évaluent les dommages subis à 794 483 francs.

L’armée bulgare a occupé un an Monastir (4 décembre 1915- 19 novembre 1916). Au Sud de la ville toute la plaine de Pélagonie s’étale, avec ses marais, ses lacis d’eaux à peine courantes, où se traînent la Tcherna et ses paresseux affluents, la Sakouleva, la Rakova, la Bistritza, qui servirent tour à tour de ligues de défense. Quand les Bulgares évacuent leurs tranchées inondées, ils vident tous ces minuscules villages de terre : les toits de paille sont crevés, brûlés ; les murs de torchis jaune