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Même après le traité de Francfort, même après le traité de Berlin, l’Allemagne resta armée jusqu’aux dents ; la « paix armée, » telle fut sa conception de l’ordre européen. Elle s’entraîna, par sa victoire, à l’idée de nouveaux triomphes et de nouvelles conquêtes. Rien de plus pénible, pour ceux qui l’ont vécue, que le souvenir de cette période de l’histoire diplomatique où Bismarck régentait les cabinets, distribuant alternativement, selon l’expression du baron de Courcel, « la douche chaude et la douche froide. » Je me souviens d’une conférence tenue en 1885 à Constantinople, dans les salons de l’Arsenal de Tophané où l’ambassadeur allemand Radowitz, renchérissant sur les pratiques de son maître, avait mis en fuite (à la lettre) tous les représentants des diverses Puissances européennes, — même les plus huppées ; — après un moment d’émoi, chacun d’eux entrebâillait à tour de rôle la porte du salon où l’ambassadeur irascible était resté seul pour essayer de lire sur son visage si la colère était apaisée et si l’on pouvait rentrer. L’empereur Guillaume, en son style « canaille, » nous donne une idée précise de ces étranges « traditions diplomatiques » par ses annotations en marge des documents publiés par Kautsky... Le monde a dû, par amour de la paix, supporter pendant quarante ans ces façons insolentes jusqu’à la démence qui ont fini par mener ceux qui s’y abandonnaient au point où ils en sont.

Je ne pense pas que ce mal, — ce haut mal, — soit celui qui menace, en ce moment, les Puissances victorieuses, ni surtout la France. On peut même se demander, après quatorze mois, si l’énergie nécessaire sera gardée par tous jusqu’à l’heure des entières et complètes exécutions.

Ce traité, le pays l’a accepté tel quel, — sans enthousiasme. — Jamais elle n’a été plus vraie qu’aujourd’hui, la parole prononcée par M. le président de la République, au jour de la signature : « La véritable paix sortira d’une création continue. »

Cette « création continue » sera l’œuvre de la nouvelle Chambre et celle du gouvernement qui représentera sa ou ses majorités.

J’ai dit ses majorités pour faire la part des caprices et sautes de vent parlementaires : mais je ne pense pas qu’il se produise dans la Chambre, en ce qui concerne les modes d’application