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des lettres dont le travail est si utile ; il a traduit pour notre enseignement et notre plaisir les Mémoires qui parurent en Anglais à Dublin en 1726, et dont le manuscrit original est égaré [1] : on comprend l’intérêt d’une telle publication.

En 1707, Cavalier, colonel, rencontra donc Pimpette à la Haye. « C’était, dit Voltaire, un petit homme blond d’une physionomie douce et assez agréable. » A cette époque, son rôle militant était terminé, celui qu’il commença de jouer à vingt ans, en défendant vaillamment la liberté de conscience contre les persécutions du souverain. Ce petit boulanger donna beaucoup de mal à Montrevel ; il traita avec le maréchal de Villars en personne, après la défaite des camisards à Nages. La signature du traité eut lieu à Nîmes, en mai 1704 ; Cavalier y demandait la liberté de conscience, le droit d’exercer sa religion sans être inquiété, l’amnistie pour les prisonniers. Villars accorda et promit au nom du Roi, mais les Jésuites s’émurent, et on revint sur la parole donnée [2].

Saint-Simon nie que Cavalier ait vu le Roi ensuite, cependant les Mémoires sont nets. L’entrevue de Versailles y est clairement contée ! Il y paraît que Louis XIV écouta le camisard « avec une très grande patience ; » le Roi ignorait une partie des faits, et au récit du massacre de ses sujets par les dragons, se montra même ému.

On devine quelle gloire accompagnait Cavalier, après ces événements, et quelle émotion l’accueillait à son passage à Lyon, à Nimes, ou à Versailles.

Saint-Simon, qui est très sévère pour Cavalier ; écrit : « Ce fut un concours de monde scandaleux pour voir Cavalier partout où il passait [3]... » Son arrivée à la Haye suscita la même curiosité qu’ailleurs, et Mme du Noyer le voulut connaître.

Elle le pria à diner, et fut bientôt parmi ses familiers. Sa fille Constantin, qui à cette époque habitait encore la Hollande, mandait à son père le cas que si mère faisait du héros des Cévennes. — « Nous faisions grande chère, bon feu, et le vin

  1. Un autre manuscrit français existe à la bibliothèque royale de La Haye, il diffère légèrement des Mémoires de Dublin.
  2. L’abbé Begnault, secrétaire de l’évêché de Nîmes, écrivait le 16 mai : « Chacun croit rêver qu’en un moment les choses changent d’une manière si extraordinaire, et qu’un gueux, un petit marmot, traite comme de couronne à couronne par l’entremise des maréchaux. » (J. Cavalier, Mémoires).
  3. Mémoires du duc de Saint-Simon, vol. 4, p. 283.