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cavalier, que sa femme avait été élevée à avaler du champagne ! » Des sottises, il en vint aux injures ; n’accusa-t-il pas sa femme d’avoir eu en France un enfant du Duc de Bourgogne ? — « Hélas ! elle a quitté la France à douze ans, » gémit Mme du Noyer ! Mais Constantin, s’adressant à sa belle-mère, lui crie : « Vous pouvez, madame, reprendre votre fille, je n’ai rien à vous, vous n’avez rien à moi, séparons-nous. Nous sommes quittes ! » Il passa la nuit debout, furieux, postant, sacrant, et armant ses pistolets. On fut forcé de soustraire les trois femmes à sa colère, et de les barricader dans leurs soupentes.

Cependant, derrière ses fortifications, Mme du Noyer cherchait vainement le coffre contenant son argent et ses bardes : Constantin s’en était saisi, croyant savoir qu’il contenait un billet de plusieurs milliers de francs, appartenant à sa femme ! Rien ne put lui faire rendre la caisse ! Menaces, prières, engagements signés par sa belle-mère, qui consentait, sur la demande du furieux, à reprendre sa fille. Constantin ne s’en tint pas là : déçu de n’avoir pu dépouiller Mme du Noyer davantage, il la fit emprisonner à la Castelénie [1], où elle se morfondit longtemps.

Dans ses Mémoires, elle parle peu de sa fille pendant ces aventures. Il est certain que la petite mariée en fut anéantie ! En vain Constantin, ayant changé d’idée par la suite, voulut-ii reprendre sa femme et lui envoya-t-il des huissiers et des gardes, — l’épouse terrifiée s’évanouit, — mais ne revint pas. Pourtant lorsqu’elle apprit que l’odieux butor était blessé à Ramillies elle se soumit aussitôt, offrant de revenir à lui. Par bonheur, Constantin brûlait alors ses lettres, et n’y faisait aucune réponse.

La pauvre petite épouse n’eut certes pas à se louer de son sort. Pourtant son honnêteté fut, semble-t-il, très réelle ; elle y eut, à moins que son tempérament ne fût pour beaucoup dans son honnêteté, quelque mérite ; mais tout n’alla pas sans aventures. Tantôt c’est un certain comte de L., pris subitement d’amitié pour la mère, désireux de lui rendre service, et offrant en échange à la belle « tout le bonheur qu’elle mérite ; » tantôt c’est un barbon qui l’invite à l’aller visiter. « Vous pouvez venir chez moi, je suis vieux et goutteux, je loge chez des gens

  1. A la Haye. — « Auberge où l’on arrête les gens avant de les mettre en prison. »