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de Succession) ; mais Mme du Noyer se décida à faire le voyage, tant était grand son désir « d’établir» sa fille. Elle descendit à Nimègue chez le comte de Dohna, et Constantin se présenta devant ces dames pour la première fois.

On le trouva un peu vieux pour une fille de quatorze ans [1], et sa vue surprit. Rien non plus dans ses manières et son ajustement ne trahit le galant, on s’attendait à mieux. Pourtant son compliment « fort honnête, » marquait combien il était, lui, ravi du « petit bijou » que Dohna lui avait indiqué.

Voici la description que Mme du Noyer fait de ce petit bijou : « Elle était formée pour le corps et l’esprit au delà de son âge, la taille belle, l’air aisé, les manières nobles et douces en même temps, choses qu’on trouve rarement ensemble. Elle avait les mains, la gorge, les bras d’un blanc et d’une beauté enchantée, le plus beau teint du monde, de beaux grands yeux noirs, avec de grands cils noirs comme du geai, des cheveux châtains blonds, une petite bouche très vermeille, et les dents les plus belles du monde. Avec cela de l’esprit et de la politesse, beaucoup de brillant et de modestie, et pour comble d’agrément quatorze ans et deux mois. »

En vérité, l’union de cette jolie fille et de l’officier des gardes semblait bien mal assortie ? En outre, Constantin, « homme rassis, » d’une économie qui touchait à la ladrerie, se révéla très vite soupçonneux, jaloux, emporté, taciturne... Voilà un beau parti, ma foi, et il n’y avait pas là, certes, de quoi faire rêver une jeunesse ! Aussi hésita-t-elle longtemps. Mais bientôt Mme du Noyer constata avec plaisir combien sa fille devenait « raisonnable » pour son âge, et comme les 50 ans du galant la rebutaient peu ! Constantin, de son côté, se montra fort empressé, promit « un équipage tous les hivers, » et une « complaisance aveugle pour sa femme. » On lui croyait des économies... Bref, on se décida à publier un jour les bans.

Mais le mariage fut rompu, lorsque Mme du Noyer rencontra fort à propos, si elle y eût pris garde, un M. Pons ennemi de Constantin, qui tint à la mère ce discours plein de menaces : « Mais, Madame, il a cinquante ans, je le sais très bien !... Cette économie par laquelle on a prétendu le louer est un vice masqué, puisqu’il est d’une avarice qui le rend ridicule. Sa

  1. Il avait cinquante ans, et s’en donnait quarante.