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quelque commerce galant avec une de ses amies. Aussitôt l’épouse outragée de se costumer en valet, et de s’introduire dans l’écurie de la dame, pour le mieux épier. Malheureusement le cocher la prit pour un voleur, et la rossa d’importance ; elle n’en sut pas davantage ce soir-là. Une autre fois, Mme du Noyer découvrit que son mari, jusque-là sédentaire, faisait de fréquentes absences nocturnes, et, pour tout dire, qu’il la trompait avec une demoiselle Boutrave, « monstre boiteuse. » Cette fois-ci, l’épouse n’alla pas par quatre chemins : ayant aperçu à l’Opéra sa rivale, elle fut dans sa loge, l’insulta, lui arracha « sa coëffure, tignons et fontanges, » qu’elle lança dans le parterre, si bien que la victime resta tête nue et échevelée au milieu de la plus nombreuse assemblée qu’on pût trouver. Ce n’est pas tout : lorsque l’infortunée Boutrave sortit, Mme du Noyer, qui l’attendait au passage avec les spectateurs assez nombreux de l’incident, lui demanda des nouvelles « de quelques bâtards » que cette femme « avait eus d’un valet de chambre ! »

M. du Noyer ne parait pas avoir tenu rigueur à sa femme de ces scènes bruyantes, et peut-être après tout en fut-il secrètement flatté ; et puis, Mme du Noyer, rentrée en possession de ses biens [1], jouissait, en outre, d’un esprit d’ambitieuse intrigeu, qui s’exerçait généreusement en faveur de son mari, à qui elle obtint, grâce à d’activés démarches, d’abord la place de Consul à Nîmes [2], puis en 1694, celle de Maître des Eaux et Forêts de la Province du Languedoc [3].

Deux filles étaient nées de ce mariage : la première en 1689, la seconde cinq ans après ; le ménage eut aussi un fils, qui resta plus tard à M. du Noyer, et mourut jeune. Telle était cette famille en 1702. — « Il y a de bons mariages, a dit La Rochefoucauld, mais il n’y en a point de délicieux. » Si celui-ci n’était ni bon ni délicieux, que dire des mariages que contractèrent par la suite les filles de Mme du Noyer, et de toutes les infortunes où les entraîna un déplorable choix ?

Quand ses filles eurent treize et huit ans, leur mère, sous prétexte de pratiquer librement la religion de son cœur, partit

  1. Depuis son mariage avec un catholique.
  2. Maire.
  3. Mme du Noyer acheta cette charge 82 000 livres. Ayant perdu de l’argent dans les affaires et au jeu, son mari la revendit 110 000 livres quelques années après, — sans en aviser sa femme.