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galantes, et fut collaborateur à la Haye de deux feuilles périodiques qu’elle semait de nouvelles, d’anecdotes, et de bons mots : La Quintessence et Le Lardon.

Dans les mémoires et les lettres, qui contiennent un fatras de caquets, de redites et de racontars, souvent fastidieux ou embrouillés, Arnelle a trouvé la substance de deux livres fort divertissants. On y voit en pleine lumière la figure de Mme du Noyer, qui est d’une singulière originalité, puis celles de ses filles, d’un attrait différent, mais pour le moins aussi vif que celui que présente leur mère.

Mme du Noyer fut en effet une étrange femme, à la fois rusée et naïve, soupçonneuse et crédule, d’ailleurs vindicative, entêtée, violente et rapace, puis soudain généreuse à l’excès. A travers tout cela, excellente mère, ayant élevé, il faut en convenir, fort mal ses filles, qu’elle gâtait avec passion ou punissait sans mesure.

Elle était née à Nîmes en 1663, de parents protestants et se nommait Anne-Marguerite Petit. Elle perdit sa mère étant fort jeune et fut élevée par sa tante, Mme Saporta, dans le protestantisme le plus fervent. Après l’Edit de Nantes, les dragons du Roi, rendant la vie des hérétiques intolérable par les vexations et les tourments qu’ils leur infligeaient en vue d’obtenir leur abjuration [1], Mme Saporta et sa nièce résolurent, comme tant d’autres, de fuir la France, pour chercher à l’étranger une liberté que le Roi refusait si durement à ses sujets. Néanmoins, ces deux dames, surveillées de près, durent se séparer pendant le voyage. Mme Petit, travestie en garçon jardinier, passa de Lyon à Genève, où elle retrouva sa tante.

Pendant ce temps, des projets d’union furent ébauchés. Anne-Marguerite était riche, les prétendants furent nombreux, et Mme Saporta désirait fort l’établir pour la soustraire aux « papistes » par un mariage protestant. En 1688, la jeune fille se trouvait à Paris, enfermée dans un couvent, lorsqu’elle apprit que le Roi ordonnait à tous ses sujets d’abjurer, ou de

  1. Mme du Noyer écrit qu’un des moyens dont les dragons se servaient pour arriver à leurs fins était d’empêcher les gens de dormir. « Chez M. de la Cassagne », ils s’installeront cinquante, posèrent des sentinelles devant la porte de sa chambre, et lui firent tourner la broche. Pour une heure de sommeil, il leur compta dix écus d’avance ; l’heure écoulée, les dragons commencèrent à battre du tambour à son chevet. « On le fit tant souffrir que son corps et son esprit s’en ressentirent jusqu’à la fin de ses jours. »