Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/854

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
850
REVUE DES DEUX MONDES.

Par ordre, toutes les autorités locales furent convoquées à suivre à Eisenach un cours fait par des officiers et des professeurs d’université. Il s’agissait de les mettre au courant de la situation, de les éclairer sur les buts de guerre de l’Allemagne et sur ses ressources, de leur démontrer la nécessité et la certitude de son triomphe, et enfin de les initier à la pratique de la propagande. Le bourgmestre en revint émerveillé. Je m’aperçus pourtant, qu’au bout de quelques jours, son enthousiasme était fort refroidi. Une tentative de propagande populaire qu’il entreprit à l’hôtel de ville n’eut aucun succès, autant que j’en pus juger du dehors.

Le pauvre homme était d’ailleurs écrasé de besogne. Tous les jours c’étaient de nouveaux règlements sur le commerce des vivres, le rationnement, les réquisitions des récoltes, du linge, des vêtements. De plus en plus, tout le monde fraudait. Il le savait mieux que personne, soupirait et fermait les yeux. Le nouvel emprunt de guerre augmentait encore ses déboires.

Je le voyais tous les matins, suivi de son chien, se rendre chez les gros bonnets de Creuzburg pour les engager à souscrire. Je doute cependant qu’il en ait tiré la forte somme. Mon hôte Herr Panitz se vantait à moi de n’avoir contribué à aucun emprunt. Les Junker et les grands industriels n’avaient qu’à payer, disait-il, cette guerre qu’ils avaient voulue et qui leur rapportait de scandaleux bénéfices. Le peuple était trop bête de continuer à se laisser opprimer par une clique de privilégiés. C’était un scandale qui ne pouvait durer. Au fond, les socialistes avaient raison. Et ce que je lui avais raconté du gouvernement belge lui revenant en mémoire : « A la bonne heure, criait-il, voilà ce qu’il nous faudrait. Les ministres devraient être choisis par le peuple. Ici, nous sommes traités en esclaves, par les fonctionnaires ! » Visiblement, le Vaterlandspartei et la propagande patriotique avaient manqué le but. Les choses allaient mal. On commençait à entendre sur Hindenburg des plaisanteries irrévérencieuses. Je me rappelais in petto qu’un an auparavant Creuzburg lui avait envoyé, de commun accord avec les autres villes de Thuringe, un diplôme de bourgeois d’honneur.

La défection de la Russie et la paix de Brest-Litovsk arrivèrent à point nommé pour relever les courages. Cette fois, à coup sûr, la paix était proche. A tout le moins le blé de l’Ukraine allait se déverser sur l’Allemagne en vagues dorées. On retira