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suffrage universel avait à trancher les questions nationales et internationales les plus hautes à l’aide de cet instrument si extraordinairement simplifié, le bulletin de vote. Et la difficulté des résolutions à prendre se trouvait encore compliquée de ce fait que, par une suite de circonstances et d’engagements antérieurs même à la guerre, le suffrage universel avait à s’exprimer par un mode de scrutin nouveau et dont il ignorait le fonctionnement. Encore une fois, on pouvait tout craindre. Or, le suffrage universel s’est prononcé, dans des termes qui, parmi les difficultés de l’heure présente, peuvent passer pour suffisamment clairs, fermes et efficaces. Il a parlé et il a choisi. Ainsi, sa volonté tend à devenir action.

Il faut voir maintenant comment cette action, qui n’est encore qu’en puissance, va se réaliser dans les faits, comment, la France s’étant prononcée, elle va maintenant être gouvernée.


Essayons donc de dégager, d’abord, le sens profond des récentes élections.

On a beaucoup dit qu’elles étaient filles de la peur : le fantôme du bolchévisme ayant été agité devant les électeurs, ceux ci, d’un mouvement d’effroi, se seraient portés vers la réaction. L’observation est plutôt superficielle. Une énorme majorité s’est prononcée. Or, tout le monde n’a pas peur, et surtout tout le monde n’a pas peur en même temps. Les faubourgs ont voté. Les faubourgs n’ont pas peur. Est-il besoin d’ajouter que la France n’est pas un pays de poltrons ? Et puis, nous, nous n’en étions pas là. Les Soviets n’ont pas passé la Vistule : le bolchévisme n’est pas à nos portes. Ceux qui ont suivi le mouvement préparatoire des élections savent que les groupes de combattants y ont pris part avec une ardeur décisive : or, si quelqu’un tremble, ce n’est assurément pis ceux-là. La plupart d’entre eux se sont fait des réflexes solides et froids. Ayant vu la mort de près, les trognes, comme dit Montaigne, ne les effrayent pas.

C’est plutôt dans les sentiments de ces hommes revenus de l’armée, des combattants rentrés au foyer, qu’il faudrait chercher les caractéristiques du courant qui s’est si fortement manifesté d’un bout à l’autre du pays. Les élections sont d’abord un mouvement de jeunesse ; elles manifestent le goût profondément