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ce qui pouvait être encore sauvé. L’esclavage monarchique, qui pendant tant de siècles était apparu à l’esprit gréco-romain comme le plus abject et le plus ignominieux que l’homme put supporter, était la récompense du long effort des deux peuples les plus grands de l’antiquité pour créer l’Etat parfait ! Quelle est la civilisation qui, devant une pareille déception, n’aurait pas désespéré de soi et de l’avenir ?

Mais le christianisme sut, au contraire, tenir tête à cette catastrophe, qui semblait anéantir le monde antique dans toute sa conception de la vie, par une des révolutions spirituelles les plus audacieuses, les plus originales et les plus grandioses, dont l’histoire ait gardé mémoire. Il retourna complètement le point de vue antique, affirmant que le fait qu’un État soit bon ou mauvais, juste ou inique, sage ou fou, est chose qui n’a de l’importance que pour ceux qui gouvernent et qui commettent le mal ; mais qui n’en a aucune pour ceux qui sont gouvernés et qui ont à souffrir des iniquités des puissants. Le but suprême de la vie est la perfection religieuse et morale de l’individu ; à cette perfection chacun peut arriver par son effort, quels que soient les gouvernements et leurs institutions, que celles-ci soient bonnes ou qu’elles soient mauvaises. L’homme n’a qu’un seul maître véritable, Dieu ; s’il sert bien le Maître unique et suprême, s’il mérite son amour et sa louange, le reste ne compte pas. Les puissants de la terre deviennent impuissants.

C’est cette conception nouvelle de la vie, par laquelle le christianisme retournait de fond en comble les bases intellectuelles et morales de la civilisation antique, qui triomphe définitivement, au milieu de l’épouvantable désordre du IIIe siècle, et comme réaction suprême contre ce désordre, bon triomphe est l’événement le plus important de la crise du IIIe siècle. L’influence que cette conception nouvelle de la vie est appelée à exercer sur l’avenir sera immense, car elle va imprimer pour des siècles une nouvelle direction à toute la civilisation occidentale.


GUGLIELMO FERRERO.