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fortune. L’Eglise accumulait ainsi les biens d’une partie des classes supérieures en une gigantesque main-morte, dont elle dépensait les revenus en partie au profit de tous les hommes frappés par le malheur, sous toutes ses formes. Il n’est pas difficile de concevoir quel formidable instrument de puissance représentaient cette richesse accumulée et les institutions d’assistance et de bienfaisance qu’elle soutenait, au milieu de la crise générale du IIIe siècle. Les églises chrétiennes apparurent alors comme un port sûr dans la tempête. Tandis que les âmes d’élite parvenaient au christianisme à travers les épreuves de leur propre douleur, par la vision de la douleur d’autrui, ou le dégoût du monde bouleversé et contaminé, dans un élan suprême vers la paix et la béatitude, les foules étaient attirées à la foi nouvelle par la généreuse assistance dont l’Église était si large envers les malheureux et qu’animait un souffle divin de charité, inconnu à l’assistance officielle ou à la protection politique des grandes familles de l’ancien Etat païen. Si la foi attachait les fidèles à l’Eglise, d’autres liens matériels renforçaient efficacement la puissance et l’autorité de la religion : les aumônes, les subsides, l’assistance, les offices, les charges ecclésiastiques et les revenus qui y étaient attachés, enfin la gestion des terres récemment acquises qui employait un nombre toujours plus considérable d’agents-esclaves, travailleurs, colons, administrateurs.

Le christianisme était donc devenu à la fois une puissance spirituelle et temporelle. Mais il ne jouissait point, à la différence du mithraïsme, de la faveur impériale. S’il est exagéré de dire, comme prétendent certains historiens, que tous les empereurs du IIIe siècle furent contraires aux chrétiens, il est certain que le christianisme eut à endurer pendant ce siècle de cruelles persécutions et qu’il fut toujours regardé par les pouvoirs publics, même dans les moments où les persécutions sanglantes étaient suspendues, avec une méfiance hostile, qui contraste avec la faveur accordée au mithraïsme. Quelle est la raison profonde de cette attitude qui a laissé des souvenirs si tragiques dans l’histoire de l’Eglise ? L’esprit même du christianisme.

Au point de vue de l’Empire et de ses intérêts politiques immédiats, il n’est pas douteux que le christianisme était une force de dissolution. A mesure que la crise du IIIe siècle s’aggrave,