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pendant plus de deux siècles, il semblait ne rester d’autre forme de gouvernement pour un grand état que l’absolutisme oriental, fondé sur le principe religieux et où le souverain était Dieu.

En fait Aurélien s’efforce de convertir l’empire gréco-romain en un empire asiatique. Cet essai cependant, bien que justifié amplement par les nécessités politiques et par la situation de l’Empire, paraît avoir rencontré une forte opposition. Vers la fin de 275, Aurélien tombe à son tour victime d’une conjuration de généraux. Pour quels motifs ? Le point est fort obscur. Nous savons qu’en qualité de représentant du Sol invictus, Aurélien s’était employé résolument à rétablir l’ordre dans le vaste empire ; et il est vraisemblable que le zèle qu’il apportait à la répression des abus énormes dont souffrait le monde romain lui valut beaucoup d’ennemis. Mais il n’est pas impossible que la conjuration ait été en partie un mouvement de réaction de l’esprit gréco-latin contre l’absolutisme mystique de l’Orient désormais victorieux. Un fait singulier, qui resterait autrement inexplicable, tendrait à le faire croire ; les légions, après la mort d’Aurélien, se refusèrent à élire un empereur et voulurent confier de nouveau l’élection au Sénat. Surpris d’un respect dont il avait depuis longtemps perdu l’habitude, le Sénat voulut d’abord s’y refuser ; puis il désignale plus ancien de ses membres, le princeps senatus, Marc Claude Tacite. Mais on n’était plus au temps de Trajan, et pour avoir voulu gouverner comme Trajan, Tacite fut, à peu de mois de son élection, massacré par une révolte de soldats.

La guerre civile recommença. Une partie des légions élut Florien, une autre Probus, un des meilleurs généraux d’Aurélien. Probus l’emporta ; et il est à noter que, bien que disciple d’Aurélien, il continua la politique de Tacite ; il reconnut l’autorité du Sénat, cherchant ainsi à consolider la sienne propre ; il lui restitua le droit de juger en appel dans les procès pénaux, de nommer les gouverneurs, et même de ratifier les constitutions impériales. Comment expliquer cette dernière tentative de gouverner l’Empire avec l’appui du Sénat, après un demi-siècle de troubles et de guerres civiles, alors que le Sénat n’était plus qu’une ombre, sinon en admettant que l’absolutisme mystique d’Aurélien avait irrité ou effrayé ce qui subsistait encore de l’ancien esprit latin ? Mais cette tentative ne