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avaient pullulé pendant les années précédentes, et en reconstitua l’unité ; il entoura Rome de la puissante enceinte de murs gigantesques qu’on admire encore. C’est pourquoi on peut le dire avec raison restitutor orbis.

Mais c’était un esprit de trop haute valeur pour ne pas comprendre que l’unité qu’il reconstituait serait bientôt détruite de nouveau, si l’on ne trouvait quelque remède radical aux maux qui affligeaient l’Empire. Deux de ses dispositions méritent d’être particulièrement signalées. La première concerne les frontières de l’Empire. Jugeant avec raison que l’Empire était trop étendu pour ses forces diminuées, Aurélien se résolut à abandonner le dangereux saillant de la Dacie, arrosée du sang des légionnaires de Trajan et de la sueur de plusieurs générations de colons. Il donna le nom de la province abandonnée à la partie de la Mœsie qui s’étendait sur la rive droite du Danube. L’autre disposition est d’ordre politique et religieux. Aurélien institua officiellement le culte du Sol invictus, proclamant religion d’État le mithraïsme latinisé.

Pour comprendre la valeur de cette grande réforme, il faut se rappeler que le mithraïsme était un culte asiatique né d’une fusion du mazdéisme avec la théologie sémite et avec d’autres éléments empruntés aux religions indigènes de l’Asie mineure. Comme presque toutes les religions asiatiques, celle-ci était absolutiste et monarchiste, puisqu’elle enseignait que les monarques règnent par la grâce divine, et reçoivent comme tels de Mithra les attributs de la divinité et lui deviennent consubstantiels. L’adoption du mithraïsme comme culte officiel était donc un acte de profonde politique : c’était un effort pour trouver dans l’absolutisme mystique un principe de légitimité qui remplaçât l’antique validation du Sénat, maintenant inefficace, et qui pût soustraire l’autorité impériale aux caprices des légions sans cesse révoltées. Au milieu de l’anarchie où l’Empire sombrait, Aurélien cherche en somme un nouveau principe d’autorité ; et il le cherche là où seulement il pouvait le trouver, après l’extinction de tous ceux qu’avait engendrés le monde gréco-romain : dans les grandes monarchies absolues qui confinaient à l’empire romain du côté de l’Orient. Après la chute de la République, après la chute du gouvernement mixte de monarchie et de république, mais de structure gréco-latine, par lequel l’Empire s’était gouverné