Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/819

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certitude de l’impunité et par l’espérance du butin. Les guerres civiles naissaient les unes des autres, affaiblissant partout la défense des frontières. L’Empire commence à devenir la proie des Barbares qui, enhardis par la faiblesse croissante du colosse, l’attaquent de tous côtés. Entre 254 et 260, les Goths envahissent de nouveau la Dacie, la Macédoine, l’Asie Mineure : les Allemands et les Francs se jettent sur la Gaule ; une nouvelle race germanique, les Saxons, fait son apparition sur la mer, le long des côtes de la Gaule et de la Bretagne ; des troubles graves éclatent en Afrique, et de nouveaux dangers menacent l’Orient, où l’Arménie et la Syrie retombent sous l’influence persane. Comme si tous ces malheurs ne suffisaient pas, une terrible épidémie de peste fit rage ces années-là, dépeuplant des régions entières de l’Empire.

Valérien, qui était un sénateur de noble famille et d’une certaine capacité, s’entendit alors avec le Sénat, et, d’accord avec celui-ci, s’efforça de parer aux terribles difficultés du moment par une mesure appelée à entraîner peu à peu une dislocation complète de la civilisation antique ; le partage de l’Empire. Il nomma César son fils Gallien, et lui assigna les provinces de l’Occident, se réservant celles de l’Orient. L’unité de l’Empire, la grande œuvre et la grande pensée de Rome, était brisée pour la première fois. L’idée qui avait décidé cette réforme est claire : renforcer l’autorité impériale et avec elle tout le gouvernement affaibli, en restreignant le champ trop vaste où elle devait agir. Mais c’était là un remède de nature, pour ainsi dire, géométrique, qui ne pouvait pas guérir un mal de nature morale. Le gouvernement était faible, parce qu’il n’avait plus de titres qui fussent indiscutables et universellement reconnus ; le partage du pouvoir ne pouvait pas détruire un vice d’origine. Pendant que Gallien cherchait à contenir de son mieux les invasions germaniques en Occident, Valérien tentait une grande expédition contre la Perse. Mais en 259 ou en 260, il est fait prisonnier par les Perses, et il va mourir en captivité, on ne sait ni où ni quand. Peu d’années auparavant, un empereur était tombé sur le champ de bataille, en combattant les Barbares ; maintenant, un empereur était fait prisonnier ! C’était là un coup terrible à l’autorité impériale dont l’effet se fit bientôt sentir. Une sorte de démembrement de l’Empire suit de près cette catastrophe.