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légions semi-barbares et de la force en révolte. Mais la victoire de la légalité sur la force dura peu. La discorde se mit entre Pupien et Balbin ; le Sénat ne sut pas profiter de la victoire et irrita les soldats sans les désarmer. Avant la fin de l’année 238, une nouvelle révolte militaire avait mis à mort Pupien et Balbin et proclamé empereur Gordien. La force avait eu sa revanche. Pendant ce temps, les Carpes et les Goths traversaient le Danube ; les Perses envahissaient la Mésopotamie et menaceraient la Syrie. Gordien était jeune et inexpérimenté. Par bonheur il avait trouvé dans son préfet du prétoire, Timésithée, un homme intelligent, capable, et, — qualité rare en ces temps-là, — fidèle. Timésithée réorganisa l’armée et chassa les Perses, les Goths et les Carpes. Ces succès et la grandeur du danger atténuèrent la discorde entre le Sénat et les légions, entre la légalité et la force. Bien qu’élu par ces légions, Gordien ne rencontra pas d’opposition au Sénat. Malheureusement Timésithée mourut en 243, et Gordien ne trouva rien de mieux pour le remplacer qu’un officier supérieur de l’armée, de nationalité arabe, Jules Philippe. C’était un valeureux soldat, mais il n’était pas aussi fidèle que son prédécesseur. Il voulut être, non le subordonné, mais le collègue de Gordien ; il obligea les soldats à demander pour lui cet honneur, et, devant le refus de Gordien, il le fit assassiner.

C’était la quatrième révolte militaire qui triomphait en quelques années. La force l’emportait de plus en plus sur la légalité, affaiblie et discréditée dans le pouvoir chancelant du Sénat, auquel la violence des légions faisait échec de toutes parts. En effet, cette dernière révolte eut dans tout l’Empire des répercussions beaucoup plus graves que les précédentes. L’autorité impériale affaiblie au centre, la révolte s’étendit aux provinces ; de nombreux prétendants surgissent partout ; l’exemple devient contagieux. Du moment que les légions élisent l’empereur, pourquoi ce privilège serait-il réservé à celles d’une province plutôt qu’à celles d’une autre ? Chaque groupe de légions veut son empereur. La force, en l’absence d’un principe d’autorité unificateur, tend toujours à se morceler et à se briser. Le danger devient bientôt si sérieux, qu’une réaction se produit en faveur du Sénat. Epouvantés, les hommes se tournent vers le seul principe d’autorité qui subsiste encore, en dépit des nombreux outrages reçus. Tout Arabe