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traditionnelle. Dans la détresse, les Français, comme un troupeau menacé par les fauves, se serrent les uns contre les autres, font bloc autour du gouvernement et de la capitale ; les Allemands, au contraire, se disjoignent ; chacun tourne les yeux vers son groupe naturel, vers sa capitale historique, et il apparaît à chacun que le meilleur moyen d’être un bon Allemand, est d’abord d’être un bon Rhénan, un Bavarois, un Hanovrien, un Saxon. Voilà d’abord ce qu’il faut bien voir quand on veut comprendre les mouvements qui agitent l’Allemagne depuis sa défaite et la chute des trônes.

Le mouvement autonomiste, dont nous avons relaté les différentes phases, n’est nullement artificiel, nullement provoqué par les alliés vainqueurs ; il a ses racines jusque dans l’histoire lointaine des pays allemands, dans leur constitution géographique même ; il répond aux aspirations instinctives et profondes des peuples. Il était naturel que la région rhénane fût celle où ces tendances autonomistes se manifestassent le plus tôt et avec le plus d’énergie, non parce qu’elle est occupée par les troupes alliées, mais parce que, à travers les siècles, c’est là que l’histoire et la civilisation allemandes se sont développées avec le plus d’éclat et d’intensité au contact de la civilisation latine de l’Occident. Ce peuple a le droit de disposer de ses destinées et ce serait mal interpréter le principe des nationalités, sur lequel repose tout l’édifice de la paix, que de lui en contester le bénéfice.

Lorsque, de Berlin, on cherche à discréditer le mouvement rhénan, on l’accuse de servir les intérêts de l’étranger, de trahir la patrie allemande et de n’exister que par la protection des armées victorieuses. En réalité, si les autorités d’occupation avaient, durant cette première année, été autorisées par les gouvernements alliés à soutenir ouvertement les aspirations autonomistes, la République rhénane serait aujourd’hui une réalité vivante. Le mot d’ordre, que ces populations, peu habituées à l’initiative, attendaient, ne fut pas donné. Fut-ce par un respect exagéré pour un principe mal interprété ? Fut-ce par une étrange méconnaissance du caractère vrai des revendications rhénanes ? L’histoire le dira, car nous ne pouvons croire, que ce soit par une opposition de nos alliés qui dénoterait chez eux, outre des sentiments qui ne peuvent pas être les leurs, une incompréhension radicale de leurs propres intérêts