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militarisme, au capitalisme peut-être... Il faut en prendre notre parti, le socialisme allemand sera impérialiste [1]. »

La prophétie, que la guerre a réalisée, continue de se trouver vraie. Les socialistes, à Weimar et à Berlin, ont chaussé les bottes de Bismarck et coiffé son casque ; ils ont entrepris en Allemagne un travail de nivellement qui, sous couleur de maintenir l’unité du Reich qui n’est pas menacée, aboutirait en réalité à faire entrer tous les pays allemands, sous l’armure prussienne, dans une vaste unité socialiste où disparaîtraient toutes traces des anciens États et où l’Autriche allemande viendrait s’agréger. Le Dr Otto Bauer, à la Ballplatz de Vienne, assisté du fils du socialiste allemand bien connu Kautsky, correspondait à ces desseins et travaillait, de concert avec Berlin, à des fins communes. L’Europe centrale deviendrait ainsi une vaste social-démocratie qui engloberait les provinces baltiques et s’appuierait, dans toute l’Europe et jusqu’en Amérique, sur les éléments socialistes internationalistes. L’œuvre d’unité allemande que Bismarck n’avait pu achever selon son rêve, la social-démocratie la réaliserait. Unification signifierait en réalité prussianisation de l’Allemagne. N’est-ce pas le même député Hirsch qui, en 1910, proférait le scandaleux : « Hélas ! » que nous avons rappelé, et qui, devenu ministre président de Prusse, disait dernièrement, faisant allusion aux vœux autonomistes des Rhénans : « La dissolution de la Prusse serait le premier pas vers la dissolution de l’Empire ? [2] »

Pour mener à bien leur œuvre, les socialistes, maîtres du pouvoir, avaient besoin de l’appui de la fraction du Centre qui suit les directions de Mathias Erzberger, dont on sait le rôle dans la tragédie de la révolution allemande. Avec l’appui des partis démocrates, le gouvernement Ebert, Scheidemann, Erzberger entreprit énergiquement la lutte contre le spartakisme et, fort de son succès, se présenta à l’Allemagne de l’Ouest comme le défenseur à la fois de l’ordre et de l’unité. Il comptait sur l’appui des socialistes rhénans ; mais les chefs seuls obéirent au mot d’ordre de Berlin ; les masses ouvrières

  1. Le socialisme impérialiste dans l’Allemagne contemporaine. Librairie de l’Action nationale, brochure, 1912, reproduite et augmentée du Dossier d’une polémique avec Jean Jaurès (1912-1913) (1 vol., 1918 ; Bussard). M. Andler vient de publier : La décomposition du socialisme allemand (1 vol. ; Bossard).
  2. Berliner Tageblatt, 17 juillet 1919, matin.