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l’armée prussienne, a dévié le grand courant démocratique de 1848 et l’a confisqué au profit de la Prusse et des Hohenzollern. L’expérience, qui avait d’abord paru avantageuse, s’est révélée désastreuse ; elle a ameuté, contre l’Allemagne prussianisée, tous les peuples libres qui ne lui pardonnent pas d’être avide de conquêtes, sans scrupules dans le choix des moyens, et de remplacer le respect du droit par le culte de la force. Ainsi raisonnaient les Allemand durant l’hiver 1918-1919, et ils concluaient que les Allemands de l’Ouest et du Sud, authentiques héritiers de l’esprit allemand, devaient se débarrasser de l’esprit prussien et devenir eux-mêmes les créateurs, les inspirateurs d’une Allemagne nouvelle, fédérative, libérale et démocratique. Si ces tendances l’emportaient, le premier bienfait qui en pourrait résulter serait sans doute, pensaient-ils, un adoucissement des conditions de paix, car c’est contre le « militarisme prussien, » contre la menace d’une restauration des Hohenzollern et d’un retour offensif du pangermanisme que les Alliés se croyaient obligés de prendre des précautions. En France notamment, la certitude de n’avoir plus de frontière commune avec la Prusse apaiserait les esprits. Une république rhénane était donc nécessaire à la paix de l’Europe et à la reconstitution d’une Allemagne prospère, mais pacifique ; l’esprit rhénan est assez fort et a d’assez belles traditions pour faire contrepoids à l’esprit prussien ; c’est la mission historique des Rhénans de servir au rapprochement des deux plus grandes nations historiques de l’Europe continentale ; en s’organisant en un État autonome, non seulement ils sauveraient l’Allemagne et la civilisation germanique, — qui n’est pas la Kultur prussienne, — mais ils apporteraient à l’Europe le gage d’une longue paix et peut-être les prémices d’une sincère réconciliation.

Le courant d’idées autonomistes, fédéralistes, anti-prussiennes, n’est pas localisé à la province rhénane, naguère sujette du roi de Prusse ; il s’étend à la Hesse, au Palatinat, à l’enclave oldenbourgeoise de Birkenfeld. Les Palatins se plaignent d’être tenus à l’écart des fonctions publiques et de voir leur pays traité par la Bavière comme une colonie d’exploitation. Les gens de Birkenfeld s’insurgent contre l’étrange destin qui les associe au Oldenbourg, ils demandent à s’en séparer et à se joindre aux Rhénans leurs voisins. Les Hessois